jeudi 22 décembre 2011

11. Mon père est mort au buron : à nos vingt ans !


C’est le dimanche 27 novembre que mon frère Philippe m’a prévenu qu’il venait de partir, mon père. Je le savais en décrochant mais je n’ai pu empêcher quelques larmes de glisser lentement sur mes joues. Non point de douleur mais de joie, d’émotion douce et réconfortante : c’est dans son lit qu’il est mort, alors qu’il allait mieux, alors qu’il s’efforçait de recouvrer son autonomie, alors donc qu’il était en vie, quand le cœur usé s’est arrêté. Il avait réussi à esquiver l’hôpital, les dernières souffrances, le plein de déchéance, le trop plein d’emmerdements. Le rêve !

C’est à lui que je pensais en poursuivant mes tâches. Peu à peu la tendresse envahissait mon cœur et mes sens et me remplissait d’allégresse : quelle chance qu’il nous ait offert la musique d’un souvenir ultime qui apaise et qui réveille les échos de tout ce qui fut bon, tout ce qui fut chaleureux, tout ce qui fut savoureux !

Ma chance à moi me ravissait. Enfant prodigue et nomade, je m’étais préparé depuis plus de quarante ans à devoir affronter un jour, au retour de quelque longue virée sur le terrain, la nouvelle d’un départ déjà clos, le regret de l’absence, la culpabilité d’un dernier témoignage raté. Et voilà que j’étais présent, que j’avais même pu, cinq jours auparavant, lui lancé encore un « à la prochaine » et lui renouvelé un baiser filial !

On dit que la mort est tristesse, celle d’une page qui se tourne, mais je ne parvenais pas à atteindre cet état ; j’étais trop content pour lui, trop content de ce départ réussi et à un très grand âge, qui laisse ainsi la page immédiatement ouverte aux ressouvenirs, aux réconciliations, au ressourcement d’une mémoire.
Août 2004, au pied du grand fayard
On dit que la mort est tristesse, celle de ceux qui restent ; je ne pouvais pas : c’est au buron que je l’apprenais ; j’ai choisi de célébrer. Je suis d’abord allé au grand fayard qu’il avait tant admiré lors de sa seule visite aux Fayes. Puis j’ai parcouru les pièces du pavillon et buron qui font ma maison et je les ai regardées avec ses yeux d’alors, quand tout n’était (au lendemain même de l’achat) que ruine et désastre : il a dû croire (une fois de plus) que j’étais fou et maudit.

Mais dans quel état était-elle lorsqu’il l’a achetée cette grande maison de Champagne où il vient de mourir ? A décourager les plus optimistes ! Mais il en rêvait après les errances du fermier, sans son propre toit mais riche en marmaille. Et c’est de là qu’il vient de partir en beauté, en chez lui, en paix.

Alors je me suis confirmé que c’est ici, c’est chez moi, c’est en jas, c’est en Zutterie, que j’aimerais m’arrêter et devenir cendres pour aller nourrir la fumade de mon pré, du moins les topinambours qu’un jour j’y planterai comme je le lui avais promis.

Le grand art c’est de ne garder que les bons souvenirs. Un départ réussi, ça aide. C’est donc quelque chose à célébrer. En cet après-midi de dimanche, Jean-Claude le sauveur (celui qui a sauvé ma maison en lui posant un toit) passait par là. Je l’ai invité à boire le champagne avec moi pour fêter la nouvelle reçue au buron, chez moi. Et pour trinquer j’ai voulu reprendre l’expression rituelle de mon père : « A nos vingt ans ! ». C’était sa formule à lui ; à présent elle est à nous.

La Zutterie, le jeudi 15 décembre 2011

mardi 6 décembre 2011

10. Quand l’hiver tarde: défis d’automne

D’ordinaire il me faut du temps pour rétablir l’harmonie entre le buron et moi après une absence. Ça peut prendre plusieurs jours comme en octobre. D’où ma surprise lors de mon retour d’Arménie, ce mardi. D’emblée ce fut l’enchantement ! Immédiatement ce fut la collaboration !

Il faut dire que j’avais réussi à faire la route depuis ma Champagne natale (où j’avais crocheté en rentrant du Caucase) avant que la nuit ne soit complètement tombée. A dix-huit heures j’avais tout déchargé, allumé le Thierry et je m’installais en terrasse sud-ouest pour déguster les dernières rougeurs du ciel et les premières lumières d’un apéro de rhum vieux. Le pied dans mon cœur !

Il faut dire que je ne venais pas en passant comme la dernière fois ; ce n’était pas qu’une pause, j’arrivais pour me poser ! Aucune urgence. Enfin si, une quand même, un texte pour l’Arménie avant qu’il ne soit midi là-bas, donc neuf heures en buron. Bon prétexte pour reprendre le rythme d’un réveil tôt vers cinq heures. Bon prétexte pour déjà monter en cyberburon des Chaumettes.

Il faut dire aussi que ma deuxième montée, à midi pour corrections, fut à pied et que j’ai pu retrouver ainsi… les défis de l’automne. Ma dernière journée avant le départ avait été consacrée aux écoulements des eaux puisqu’une grosse journée de pluie permettait d’espérer enfin les trombes tant attendues. Entre autres, j’avais débouché la rigole qui dessert les Chaumettes du bas. Et voilà que cette fois elle suintait un peu plus haut et de plus en plus fort sur la voie empierrée qu’on appelle romaine. Encore bouchée. C’est ainsi que mon mercredi fut pleinement actif, de la nuit au couchant. Et rayonnante puisque le soleil triomphait ici alors que les vallées s’embrumaient en dessous

Oui, défis de l’automne car le sol de l’hiver est gelé et ne permet plus ce genre de travaux. Il faut en profiter. Il faut en profiter ? Mes projets de jeudi en marché à Ambert sont passés à la trappe. J’ai été rattrapé par un autre drain, celui que j’ai fait pour relier les deux serves de mon pré.

Tout d’abord débroussailler pour bien voir et mieux travailler. Mais la débroussailleuse a sa propre logique et cette fois sa volonté a été plus forte que la mienne : peu à peu je me suis laissé piéger par le rêve… Puisque je suis dans le pré, pourquoi ne pas nettoyer un peu le recoin anciennement marécageux et qui s’est déjà un peu asséché ? J’ai commencé mais les abords de la serve haute m’attiraient trop : cela fait plusieurs années que je réfrène mon envie de l’aménager car il y a toujours plus urgent ; le retard de l’hiver m’offre l’occasion d’en faire un peu.

C’est ainsi que c’est plutôt le haut du pré que j’ai nettoyé, alternant la débroussailleuse avec la bêche. Avec la bêche parce que je n’ai pas résisté : les pieds dans l’eau et le cœur au soleil j’ai retracé un petit canal pour la circulation au milieu de près d’un mètre de tourbe qui remplit la serve.

De la tourbe ? Est-ce que ce serait bon pour un potager futur ? Et j’étais reparti dans mes délires, imaginant des terrasses à construire, cherchant souvenance des techniques incas pour avoir un fond drainant et une terre riche, avec la meilleure exposition au soleil…
Qu'est-ce que c'est ce truc informe? Plus c'est informe plus on peut rêver de le faire chanter à sa manière. Un jour, vous verrez...

Vous imaginez à quoi je songeais en apéro du couchant, en surplomb de cette serve ? Aux paysans d’Arménie et à leurs petits lopins dans la pente autour des maisons. J’en ai beaucoup parlé ces dernières semaines et c’est en songeant aux devenirs possibles de ces lopins que nous avons établi notre calendrier. Et voilà que je découvre soudain, chez moi, que c’est en automne que l’on apprête le terrain pour les semis de printemps !

A Las Fayas, le vendredi 25 novembre 2011

9. Couleurs et provisions sont les grâces de l’automne


Amis et voisins m’avaient prévenu: dés la fin octobre il peut, à n’importe quel moment, neiger de telle manière qu’il n’y aura plus d’accès routier pour tout l’hiver. L’urgence de monter les réserves vitales pour cette saison m’avait servi de prétexte pour une autre urgence : mes envies de goûter un peu les couleurs de l’automne dans mon ermitage. Ce fut une de mes rares exigences en septembre, à l’heure de concerter mon voyage au Caucase : être présent pour les derniers jours d’octobre.

Je ne suis rentré que le 19 octobre et je me suis senti frustré : les feux de l’automne n’avaient guère roussi les arbres ; ce n’était pas l’incendie attendu. C’est là que j’ai appris qu’à cette altitude le transit des pigments est très rapide ; d’ailleurs l’année trop sèche n’a pas aidé au chant des feuilles ; et puis… Mais le gel qui accompagnait mon arrivée promettait une évolution accélérée.

Je me suis donc consacré à acheter et transporter le plus indispensable: des vivres pour l’estomac; du combustible pour les poêles du corps ; du vin pour l’âme. Faut pas croire, ça prend du temps : qui sait ce qui importe le plus ? ; et combien ?

Il y a aussi les opportunités à saisir : avec mon voisin Jean-Baptiste nous avons encore acheté du bois pour garantir des maisons douces. Alors les tâches se multiplient ; tout monter ave la remorque ; couper à la taille du poêle ; ranger dans un coin sec, donc dans la grange-buron. Oh, ce ne furent pas énormément d’heures mais… j’ai acheté un chevalet de sciage et il m’a donc fallu un bon moment pour étudier les instructions, faire le montage (je ne me suis trompé qu’une fois !), apprentir son usage…

D’autant plus que la bête me permet de commencer à débiter tant de petites branches qui ne sont ni bonnes ni pratiques pour le poêle mais que, après tant d’années à voir des gens souffrir dans les Andes faute de bois de feu, je ne peux me résoudre à les laisser se perdre…

Sans parler des heures à adapter et protéger le fruit de mes travaux antérieurs. Arranger, transporter ou recomposer les divers tas provisoires de l’été m’a demandé beaucoup d’imagination et de temps. Mais quel orgueil quand finalement j’ai pris la photo du bûcher principal, du hêtre de cette année, placé sur ma nouvelle plate-forme, bien protégé par une bâche.

Finalement? En novembre l’automne s’est décidé à nous offrir quelques rigueurs, en vent et tempête cette fois. Oui, de vrais grands vents. Si grands qu’ils ont envolé ma bâche, ont dénudé mon bûcher et m’ont couvert de honte !

Les arbres aussi se sont dénudés. Mais, avant cela, oui j’ai pu réjouir mon être aux ardeurs de ses tableaux changeants.

 C’est ainsi que j’ai atteint mes buts: l’automne, des réserves pour l’hiver. Mon bûcher est à nouveau couvert. Mes dépôts sont pleins. J’ai tout vérifié avant de repartir pour le Caucase. C’est là que j’ai constaté l’abondance des apéros et digestifs engrangés peu à peu. Quelle horreur ? Allons ! Pour décrire mes journées en buron j’avais adopté le slogan : Matinées lyriques ; Après-midis physiques. Puis, un peu comme une blague, un peu par sincérité, j’avais ajouté : Soirées alcooliques. Alors, il faut bien que je m’exécute !

Original en espagnol à Erevan (Arménie), le dimanche 13 novembre 2011

samedi 22 octobre 2011

8. Le buron vu du Caucase


Le buron n’a pas que du bon ! En particulier pour préparer un voyage… C’est ce que je me dis et redis en cette dernière semaine en Géorgie. Car, coincé entre mon peu d’envie de délaisser La Zutterie (pour m’y pousser, il faut l’urgence de quelques courses ou surtout la perspective de retrouvailles lydylliques) et mon accès difficile et trop bref à l’internet, je n’ai guère vérifié, négocié ni préparé cette première virée de reconnaissance en Caucase.

C’est ainsi qu’hier matin je me retrouvais avec la perspective d’être enfermé trois jours (vendredi, samedi et dimanche) tout seul à l’hôtel à Tbilissi avant de reprendre l’avion dans la nuit de dimanche à lundi ! Enfin, si vendredi était férié j’avais quand même une réunion l’après-midi et un dîner sur paysage urbain au soir. Et puis, ce n’est que samedi en matinée que disparaîtrait mon « japonais » (non, ce n’est pas un jeu de mot facile, c’est la façon dont j’ai pu me souvenir rapidement du prénom de mon interlocuteur ici : il est hollandais et francophone, la seule personne avec qui j’aie pu parler longuement pendant ces semaines et partager des moments sympathiques, mais il s’appelle Jaap… drôle d’idée, non ?) Mais qu’il était dur de me motiver au réveil du vendredi !

Soudain survint l’illumination… Si j’ai l’habitude de circuler dans le monde sans bouger de mon buron, errant librement de souvenances en amitiés, je peux aussi procéder à l’inverse : errer du côté de La Zutterie sans bouger du coin du monde où je me trouve ponctuellement. C’est ce que j’ai fait.



Je me suis branché en Google Earth et j’ai dérivé pendant quelques heures. J’ai d’abord cherché Valcivières et l’ai trouvé… de suite. Puis j’ai situé et regardé le buron des Fayes tel qu’il était en janvier 2004, quelques mois avant que je ne l’achète. Alors je suis parti en balade, quêtant le Plateau des Egaux, Pégrols, les hauteurs de Monthallier, le toit à présent défoncé du buron que je contemple là-haut depuis chez moi.

Je me suis retrouvé en rando avec ma crapahuteuse sur les sentiers que nous avons déjà partagés, sur ceux qu’elle découvre sans moi et me raconte pour me motiver à sortir de mes bois, sur ceux que nous rêvons d’entreprendre quelque jour.



Fatigué par tous ces parcours, je suis revenu à mes propres visiteurs. J’ai tracé pour eux les chemins qui du Perrier conduisent à La Zutterie. J’ai situé le cyberburon qui, en témoin indispensable, les aide à comprendre la vie d’autrefois dans ces contrées. Je me suis émerveillé devant l’aura de l’énorme fayard tout proche que j’aime leur montrer quand la voie est libre.
Que c’est étrange ! Il a fallu une matinée en Géorgie pour que j’apprenne à mieux connaître les paysages qui m’entourent en Auvergne. C’est donc bien vrai : l’internet a du bon ! Mais sans exagérer : c’est en marchant qu’en ce samedi je me suis enfin lancé à la découverte de cette ville. Oui, c’est sûr, j’en suis rentré avec une ampoule au pied, ce qui ne me serait pas arrivé avec Google Earth… Mais le plaisir n’est pas le même non plus.

Le buron aussi a du bon. La preuve ? Il a fallu que j’y revienne pour être enfin capable d’y terminer ce petit billet. Les énergies que j’y ai retrouvées, alors que je ne suis ici que depuis hier, m’ont déjà dopé !

Tbilissi, le samedi 15 octobre, et La Zutterie, le vendredi 21 octobre 2011

dimanche 2 octobre 2011

7. De buron en Caucase


Depuis huit jours elles sont fermées les portes du buron. La mort dans l’âme j’ai procédé aux vidanges et autres mesures d’avant l’absence. La mort dans l’âme car il me fallait bien le quitter. Mais le cœur gai à l’idée de ce que j’allais découvrir : le Caucase.

C’est la première fois depuis un an que je sors de France. Installé de façon permanente aux Fayes depuis le solstice d’hiver, je rêvais d’y vivre un cycle complet, celui des quatre saisons. Il me manquera donc l’automne. Internet me permet de suivre le jour à jour du climat et la nostalgie ruisselle lorsque je vois l’accumulation des belles journées !

Retour à la syphilisation donc, comme disaient certains amis péruviens ! Les deux jours passés en Arménie ont été un choc : sans sortir de la capitale et logé au… Marriott pour cause d’hôtels remplis puisque l’on fêtait les vingt ans de la nouvelle république ; le contraste des styles et des rythmes a été dur ; mais finalement vivable car, quant aux rythmes, rien à voir avec l’agitation d’Europe occidentale.

Mais ça fait tout drôle d’essayer d’avoir des horaires, un programme ; de ne pas boire le premier café en pleine nature ; de se laver tous les jours ; de (faire semblant de) se préoccuper des habits à mettre ; de parler toute la journée au lieu d’écouter les oiseaux ; de devoir jouer à l’expert après tous ces mois où je ne fus qu’apprenti…
Jeudi, ce fut le voyage terrestre entre Erevan et Tbilissi en Géorgie. Le paysage assez aride de l’automne me rappelait les Andes et je ne me sentais point trop dépaysé. Vendredi et samedi, nous étions en visite de terrain, vers Kazbeghi, donc à quelques kilomètres de la frontière russe. Installés à 1700 mètres d’altitude. Le relief montagneux était celui des Andes, la végétation de bouleaux et sorbiers me rappelait les communaux au-dessus du buron ; je n’étais pas non plus dépaysé.

Les Andes, le buron… j’espère que peu à peu le Caucase va s’incorporer dans mon univers montagneux. La question des langues ne s’y prête guère. Je me sens autiste puisqu’aucune des miennes ne me sert ici ; un peu comme je l’étais à Trinidad et Tobago il y a quatre ans. Mais avec une grande différence : en dehors de la langue, tout me parle ici : les paysages, les gens, le type de défis à relever ; tout cela me donne beaucoup pour entrer au partage.

D’ailleurs, s’agissant de zones naturelles protégées, je me sens plus fort qu’autrefois puisqu’à présent moi-même j’habite en zone protégée : le Parc Naturel Régional du Livradois-Forez…



Entre le 4x4 et la cravate,
quand on ne choisit pas,
ça finit mal!
Et puis, je vais vous avouer (j’avoue beaucoup depuis que j’ai ma fliquette…), en ce dimanche de repos j’ai trouvé un autre prétexte aux rapprochements : je me suis acheté du vin géorgien et en ce moment je goûte la première bouteille de blanc, le rouge sera pour ce soir ! Il faut bien que je connaisse : on m’a expliqué hier qu’historiquement le vin est originaire de Géorgie ; mon devoir est de retrouver les antécédents qui agrémentent ma vie au buron, les savoirs anciens qui ont donné lieu aux joies de notre vie d’aujourd’hui, les liens entre différentes époques et géographies. Je bosse !

 
Tbilissi, le dimanche 2 octobre 2011

mercredi 14 septembre 2011

6. De l’arbre au ciel

Il ne suffit pas d’un bon insert susceptible de profiter au mieux des calories du bois : sans bois de feu ça ne sert à rien !

Cet hiver je viens de découvrir le pourquoi de cette obsession qui inspire tant de blagues (« L’hiver sera rude : homme blanc fait du bois. ») et qui est une composante essentielle de la vie et du paysage en zones rurales d’Europe. La gestion des arbres à chauffage, avec les affouages, a été historiquement une occupation principale des organisations villageoises. De grandes réserves de bois, sous hangars ou en tas bien rangés à l’extérieur, entourent encore bien souvent les maisons.

Cet été je viens de découvrir combien de temps il faut consacrer à préparer les réserves pour l’hiver : ce fut mon activité prioritaire depuis la fin du printemps. En juin j’ai pu acheter enfin quelques troncs de hêtre, la meilleure espèce locale : il a fallu débiter, fendre, préparer un bûcher pour le ranger à l’extérieur afin qu’il sèche ; il a fallu reconstruire le tas mal fait que le premier grand vent avait écroulé (même pas le temps d’une photo en pied !)… Apprentissages, apprentissages…

C’est ainsi que l’été s’est concentré autour de l’aménagement d’une esplanade où stocker les provisions pour les hivers suivants (il faut prévoir deux ans d’avance !). Comme je n’ai pas de terrain plat et que j’ai appris la différence entre monter ou descendre avec une brouette de bois, j’ai passé mon temps à décaisser une terrasse suffisante dans la pente supérieure. Pic, pelle et brouette ont été mes compagnons les plus présents de tout l’été.

Il restait un autre défi : supprimer le gros érable et l’énorme épicéa qui faisaient de l’ombre à cette terrasse tout en menaçant mon toit et en volant en hiver plus d’un tiers de l’ensoleillement de mes panneaux solaires. Seul je ne pouvais pas. Trop dangereux. Pour moi et pour le toit.

Août : surgit alors un inconnu, fils d’un paysan du Perrier. Il venait livrer des billes de hêtre à mon voisin. Il a accepté de m’en vendre quelques-unes. Je lui ai parlé de mes deux cauchemars : le lendemain il apparaissait avec son tracteur et sa tronçonneuse ; en vingt minutes ils étaient à terre.

Il s’appelle Gilles. Je cite son prénom parce que, sans le savoir, il est devenu un de mes « faiseurs » de buron. ¿A cause de deux arbres abattus ? Non : il m’a offert le ciel !

Mon toit ? Mes panneaux solaires ? Mon bois à sécher ? Bien sûr, ils sont importants. Mais, même si je devinais le changement, j’ai été stupéfié par la transformation de mes horizons et de ma vie quotidienne…

L’espace devant la façade sud était sombre et étroit, sorte de couloir peu alléchant coincé par la pente et les arbres. Chaque fois que je pouvais : pioche, pelle et brouette afin de l’élargir et l’ouvrir un peu. A présent j’ai là un nouvel espace à vivre. Depuis la fenêtre de la salle de vie en pavillon, la lumière s’est multipliée. Depuis la porte je peux voir le ciel sans craindre de torticolis. Depuis les communaux à myrtilles, à l’est, au-dessus de la vieille voie empierrée qui borde mon terrain, je peux voir en même temps tout le buron, les monts proches et un large ciel.


C’est ainsi que, depuis quelques jours, le recoin de communaux qui ne servait que de parking et de dépôt de troncs est devenu un de mes repaires préférés : c’est là que j’aime m’assoir en café du matin, en pause tabac, en apéro du soir, et que je me ré-crée en nouvel horizon qui s’est ouvert !

Les Fayes, le mercredi 14 septembre 2011

5. A la chaleur du feu et des sentiments

Mon premier hiver au buron fut riche en réjouissances de toutes sortes mais également empreint d’une angoisse inévitable : le froid. Je n’étais pas préparé. Bien sûr, personnellement je pouvais compter sur mon entraînement, je connaissais ma capacité à m’adapter aux températures basses, même si je n’avais pas de vraie expérience de la neige. Mais je n’avais pas de bois de feu, ni en quantité ni en qualité, comme pour bien tenir plusieurs mois ; la maison avait été sauvée de la ruine et divers travaux la préservaient mieux de l’humidité, mais aussi bien les vieux murs de pierre que ce qui restait des anciennes portes et fenêtres, ainsi que les nouvelles surfaces de toit et plancher, manquaient de finitions et l’air glacé pénétrait de partout.

Voilà pourquoi c’est « apprentissage de la survie » que j’avais intitulé le journal de mes aventures. Ma « chance » était qu’il est facile de calfeutrer les trous de la pièce principale, autour de la cheminée, qui devint cuisine, salle à manger, salon, bureau et chambre. De plus un climat bénin m’a bien aidé. Je n’ai pas vraiment souffert du froid et j’ai bien pris mon pied.

Le prochain hiver, mon deuxième, ne sera plus de « survie » et ce ne sera pas une question de « chance ». Entre autres parce que le Thierry fonctionne… depuis hier. Sur la photo on peut voir l’éclat des premières flammes. Au cas où, le Thierry est à gauche. A droite c’est « ·Thierry » tout court. Dansant entre mes deux langues, perdu au milieu de termes techniques que ma mémoire agonisante se refuse à engranger, j’ai pris l’habitude d’offrir un nom propre aux divers objets nouveaux pour moi qui s’incorporent à ma vie actuelle. Souvent c’est le nom de la marque ou du modèle. Dans ce cas-ci, puisque j’ai adopté l’insert que Thierry allait porter à la déchetterie, je l’ai baptisé du prénom de son parrain et installateur.

De cette façon Thierry, voisin de la fée Lydie, devient membre de la confrérie de mes « faiseurs », les faiseurs du buron, ces personnes qui m’ont régalé de leurs arts pour que la vie ici soit plus confortable, plus joyeuse, plus harmonieuse. Ils sont plusieurs et j’en parlerai une autre fois.

Avec leurs arts ? Oui, mais pas seulement. Avec leurs sentiments aussi. A la base il y a toujours une tendresse spéciale : un amour de ces montagnes, leurs ambiances, leurs paysages ; ou bien de l’affection pour moi ; ou bien les deux à la fois dans certains cas.

C’est là quelque chose qui me réjouit en permanence : rien ici n’est impersonnel, rien ne se limite à être un « objet », à simplement répondre à un besoin matériel ou autre. Tout a une histoire, une vie ; tout me relie aux présences et aux gens d’avant, de maintenant, de demain. C’est une des raisons pour lesquelles je ne suis jamais seul : je partage quotidiennement avec mes « faiseurs ».

Peut-être la clé vient-elle de ce que je n’ai ni plans ni modèle de comment aménager cette maison. Je laisse naître envies, idées et rêves ; je prépare conditions matérielles ou financières ; puis je me restreins à cultiver les opportunités, à concerter envies, idées et rêves de ceux qui ont la tendresse et savent faire ; je laisse faire à leur manière. Comme dans mes livres des temps récents : je suis le fil conducteur entre des auteurs que j’accueille et stimule sans leur imposer de cadrage.

Pourquoi donc ? Pour me réchauffer de moments comme celui de cette photo.  Lydie m’a apporté son rêve d’insert, l’a rendu possible, l’a accompagné. Et là, nous sommes tout radieux tous les trois ! Au cas où, Lydie est à gauche, c’est le Thierry qui est au centre…

Les Fayes, le lundi 12 septembre 2011

vendredi 29 juillet 2011

4. Un buron avec la France en rab

Pluie et brouillard. L’ambiance cafardeuse de cet automne de juillet m’amène à me reposer la question: pourquoi suis-je ici ? Les émotions de vies multiples, les réjouissances d’un quotidien simple et imprévisible, physique et lyrique, l’alternance de solitude et de rencontres, je pourrais sans doute les avoir également dans bien d’autres endroits de la planète. En commençant par la France dont je découvre les splendeurs à chaque virée avec ma guide.

Cette photo prise par ma fille Yara il y a moins de quinze jours résume l’apparent dilemme. C’est l’extase d’une session internet en pleine nature. Mais ça pourrait être n’importe où…
N’importe où ? Diantre non ! La beauté ne suffit pas, il y faut l’harmonie. Or ce buron des Fayes c’est lui qui m’a choisi et depuis nous avons appris à partager ensemble. Mon prédécesseur Patrice aurait sans doute pu le vendre bien plus cher ; il a préféré céder à un qui saurait cultiver l’âme. Et j’ai offert ma patience, mes efforts, quelques ressources et beaucoup de cœur pour que la vie ensemble soit douce et savoureuse.

Combien de fois dans mes errances n’ai-je rencontré de lieux qui m’ont fait rêver de m’y établir, des lieux pétris d’énergies, de vies, d’histoire, de promesses, où j’aurais aimé me poser enfin, du moins me pauser longtemps… Surtout dans cette Amérique Latine que, grâce à mes activités dans le journalisme, dans le tourisme, dans le développement rural, j’ai parcourue pendant quarante ans et où je suis sans doute une des rares personnes à être parvenues dans tant de recoins perdus de tant de pays. Presqu’à chaque voyage j’ai senti l’étincelle de l’envie, l’envie de rester, de ne plus repartir. Alors, pourquoi ne pas l’avoir fait en Amérique Latine, où j’ai appris l’harmonie ?

Pourquoi ? A cause de cette tête, par exemple celle-ci dont le petit-fils Yvyrahí a voulu enregistré le rire de tarte aux myrtilles. Cette tête de vieux gringo loco !
Non, ce n’est pas une question d’apparences physiques, plutôt de réalités sociales, et de symboles. Dans la plupart des sites qui m’attiraient, je n’aurais obtenu mon lopin qu’en dépouillant des paysans (car même s’ils auraient peut-être été contents de bien vendre, je savais que je leur prenais l’essence de vie), et sans réelles possibilités de faire un jour partie vraie du paysage.

Et puis, les législations se durcissent progressivement : difficile d’avoir son séjour dans un pays alors qu’on le quitte aussi souvent pour nomadiser et alors qu’on ne peut démontrer de revenus fixes quand on n’est qu’un simple journalier.

C’est ainsi que, puisque le buron m’avait accueilli et me suggérait de vivre « ma » vie, j’ai choisi la France. Enfin non, le buron m’a choisi, alors j’ai choisi le buron, j’ai choisi Les Fayes, et la France vient avec… Un rab que j’apprécie d’ailleurs.

Je ne suis pas gringo loco, ici ? Oh, ici à Valcivières, dont la grande majorité des paysans sont partis depuis longtemps, on pourrait me dire baba, ou barjot, ou jobard, ou barbouze, ou bouseux, ou zeunuque, ou ce qu’on veut… Peu importe si c’est comme ça que j’entre dans le paysage !

Les Fayes, le jeudi 28 juillet 2011

vendredi 22 juillet 2011

3. Les Fayes : que de l'émotion !


On ne décrit pas Les Fayes. Enfin, si, on pourrait, mais pas moi. Je suis trop pétri par les multiples émotions qui ici me nourrissent pour pouvoir me détacher, prendre du recul, observer, analyser, expliquer. Et je n’en ai guère envie. Même, aucune de mes photos ne peut exprimer l’émoi.

Car ce n’est pas n’importe quelle émotion, c’est celle de la vie. Des vies que je rencontre. Celle d’une nature en pleine recomposition et celle d’une société rurale elle aussi en pleine recomposition. La mienne également.

Nature est mère de mes moments les meilleurs et les plus privilégiés lorsque je me pause (tous les prétextes sont bons, toutes les heures sont bonnes, tous les climats sont bons) et j’entre en état d’accueil. C’est alors que me rejoignent les images de paysages montagnards auxquels les Andes m’avaient initié et qui s’étendent au loin avec leurs reliefs et leurs hameaux ; les jeux tendres ou violents de l’air et du ciel ; les caresses d’une végétation foisonnante d’herbes, arbustes et arbres qui se diversifie pour m’enrober ; les éclats de couleurs, de chants et de pirouettes de toutes sortes d’oiseaux. Je suis même en train d’apprendre à m’ébaubir des insectes, leurs formes extraordinaires, leur musique, leurs parures, leur agitation.

La réduction des populations et des activités pacagères a bouleversé ce lieu et cette vie de nature. Par remplacement puisque depuis cinquante ans bien des terrains furent plantés en sapins. Par abandon puisque les prés non pâturés ont buissonné en genêts et myrtilles ou bien se sont arborisés d’espèces autrefois assez rares comme les bouleaux, les sycomores, les alisiers. Tout un processus encore en cours dont je peux contempler les différentes phases depuis mes terrasses.

C’est bien sûr la vie des anciens que je partage chaque jour. Dans leurs murs qui m’hébergent et dans leurs oeuvres les plus diverses, spécialement celles qui amenaient ou drainaient l’eau et celles qui empierraient les chemins pour pouvoir y circuler. Jusqu’à présent je les entends aussi vaquer aux travaux du bois dont on chauffe les maisons et bientôt je les y rencontrerai.

Les vies d’anciens que je côtoie sont surtout celles de disparus ou de retraités. Et il y a celles des moins anciens habitants qui, en vagues successives depuis quarante ans, se sont installés sur la commune pour y demeurer, y réaliser leur labeur et y savourer certaines émotions semblables aux miennes. Ils sont présents dans mes murs qu’ils visitent ou qu’ils égayent de leurs arts.

Les vacances apportent encore d’autres vies : celles des buronniers, qu’ils soient mes proches voisins des Fayes ou ceux guère éloignés des Chaumettes, tous accros à ces ambiances, tous différents entre eux ; celles des randonneurs qui ne sont que passants mais que j’aime saluer quand je le peux et pour qui j’adore nettoyer ou embellir notre recoin afin que leur plaisir avive les émois de nature.

Enfin il y a l’intense émotion de ma propre vie qu’ici je réunis pour la première fois depuis si longtemps, conjuguant la France et les Andes, alternant la brouette et le clavier de l’ordi, essayant les apprentissages de survie que l’on devrait acquérir enfant et le détachement qui devrait venir avec l’âge, dégustant les saveurs de la solitude et goûtant la fête des visites et des rencontres.

Intense émotion, oui, celle de me sentir devenir plus complet, presque un homme.

Les Fayes, le 2 juillet 2011

dimanche 3 juillet 2011

2. Bienvenue à La Zutterie

Il faut s’assumer ! Depuis que je l’ai achetée en 2004, cette maison qui à présent recueille ma vie, je lui cherchais un nom. Tout d’abord il fallait échapper aux confusions de voisinage puisque je suis à côté d’un autre Pierre, aux tracasseries des vocables régionaux (buron, jas, jasserie) avec leurs cerbères et leurs exégètes, aux formules alambiquées pour se situer dans l’espace. D’autre part, je goûte toujours le charme désuet des expressions qui désignaient les fermes isolées de mon Aube natale : la nôtre s’appelait « La Belle Idée » ! Une autre « L’Espérance ». Une autre « La Folie Godot »…

Le cadastre enregistre mon terrain en tant que « Chez Rousset », du nom d’un ancien propriétaire dont personne ne sait me rendre compte ? A présent ce sera « La Zutterie » ! Il faut bien que j’en profite de ce nom de famille à la fois exotique et marrant. Exotique car le De Zutter originaire des Flandres belges ne peut avoir de sens qu’en néerlandais. Marrant car s’il contient Zut c’est comme dans la musique : trois fois (ter). Je suis une tri-m…

Bienvenue donc à La Zutterie ! Je vais vous la présenter.

Habitation traditionnelle des zones de pâturage d’altitude en Auvergne (buron ou jasserie), elle est vieille mais je n’ai pas encore trouvé de traces de son âge. Ces maisons comprennent en général, au rez-de-chaussée, une pièce à vivre organisée autour d’une grande cheminée et une étable (la taille dépendait du nombre de bêtes qu’avait la famille), et à l’étage, une chambre au dessus de la pièce à vivre et un grenier à foin.

La mienne fut rachetée en 1971 par un jeune parisien qui me l’a donc cédée il y a quelques années car il ne pouvait plus en assurer l’entretien : regardez l’état de la toiture le jour où nous avons signé le compromis de vente !
La photo de droite a été prise il y a une quinzaine de jours. Quel changement ! Hérésie ? C’est ce que beaucoup auraient dit il y a peu encore, mais la paille est maintenant introuvable et le coût de son renouvellement est de plus en plus élevé. Aujourd’hui il existe plusieurs toits en bac acier comme le mien, et je n’ai pas été le premier.

Tout ça pour vous dire que je ne vais pas entrer dans les détails de la maison actuelle mais je vais simplement vous raconter son principal attrait.

L’ancien propriétaire avait commencé l’évolution, transformant l’étable en chambres, salle d’eaux et WC, tout en parpaings et carrelage. J’ai suivi la pente : puisque ce qui m’intéresse ce sont les extérieurs, en intérieurs je suis allé au plus pratique et au plus simple (pourquoi conserver la même hauteur de plafond et se cogner en permanence aux poutres ?). Et puis, à l’heure de l’adopter en tant que résidence principale, c’est le confort qui a été ma priorité.

C’est ainsi que j’ai… un vrai pavillon de zones suburbaines !
Mais attention, à l’étage, où tout est en bois de charpente et de plancher qui ont été renouvelés, c’est un buron que j’ai ! En dehors de la chambre, que j’occupe, la grande salle de l’ancien grenier m’invite à l’habiller en pièce à vivre, une pièce différente. Je trouverai bien comment, j’y pense et je suis patient

Alors voilà, j’ai un pavillon et un buron. Et c’est ainsi que je les appelle dans le petit journal de bord que je tiens. Ridicule ? Mais non C’est pour échapper au ridicule de la langue française qui voudrait que le pavillon je l’appelle « rez-de-chaussée » alors que c’est le buron qui est au ras de la chaussée, comme dans toutes ces constructions traditionnelles. Et je ne vais quand même pas inventer un « rez-de-vaches » pour le pavillon puisqu’il n’y a plus de vaches… Vous comprenez pourquoi je préfère parler de « La Zutterie » et ne pas me casser la tête ?

Les Fayes, le 29 juin 2011

samedi 18 juin 2011

1. Bienvenue au cyber-buron


Les Fayes, samedi 18 juin 2011

Oh, je ne devrais pas ! D’abord le terme buron est apparemment approprié par le Cantal ; nul autre n’y a droit ; c’est une notion que je ne connaissais pas, le « Mot Déposé ». Officiellement il faudrait dire « jasserie »… Bof… Et puis, quant à sa nouvelle vocation, en fait pour l’instant je suis le seul à le cybérer ; ce n’est peut-être pas suffisant pour justifier un baptême.

Je ne devrais pas, mais qu’est-ce que j’aime ça ! Depuis que je lui ai donné un nom c’est une autre relation que j’ai établie avec lui, intime, joyeuse.

Auparavant, en dix ans, je l’avais à peine visité quelques fois ce buron-musée, surtout pour le montrer à des amis de passage. C’était l’aubaine : même s’il était mal entretenu, il avait été restauré à l’authentique et la porte était toujours ouverte à qui voulait la pousser. C’est en janvier qu’il s’est dressé sur ma route : je venais de prendre un abonnement 3G pour accéder à l’internet… qui ne passait pas aux Fayes ! Je suis donc monté aux Chaumettes. C’était l’hiver, ça caillait, ça bruinait, j’ai cherché où me réfugier et j’ai pensé à cette porte ouverte… Au moins j’étais protégé de la pluie et du vent. J’ai pu consulter à peu près.

La deuxième fois j’avais acheté une rallonge pour pouvoir suspendre ma clé 3G aux poutres du toit et avoir un meilleur débit. La troisième fois, j’avais aussi apporté de quoi désaraigner, dépoussiérer et décrasser les vitres de la fenêtre car je trouvais malheureux d’être installé face à un si beau cadre et de ne rien voir dehors. Quel plaisir ! J’ai adopté et j’ai baptisé.


C’est le 18 janvier 2011, une date dorée dans mes annales d’installation à demeure, que le cyber m’a sidéré en m’offrant un cadeau démesuré. Il faisait beau, le pré en face était déneigé et révélait ses herbes. J’étais plongé vers mon écran lorsque, dehors, un mouvement m’a intrigué : deux chevreuils broutaient, assez proches. Leurs déplacements les ont entraînés hors de ma vue et je n’ai pas essayé de les suivre car ma batterie d’ordi a une autonomie trop limitée. J’ai replongé.

Pour émerger quand un nouveau mouvement extérieur m’a surpris : ils avaient quitté le pré et l’un au moins paissait le long du buron, devant ma fenêtre, juste devant ! Foin de ma batterie, j’ai délaissé mes tâches et me suis attendri. Sans oser bouger de peur de l’épouvanter. Puis, enhardi, me penchant pour mieux le contempler. Puis, intrépide et profitant de mon gilet porte-avion et ses poches aux mille merveilles, sortant l’appareil photo et captant une image.

Ah, le flash a fonctionné ! Allait-il fuir ? Il avait perçu quelque chose et il a tourné la tête mais lui ne voyait rien à travers la vitre. Il aurait fallu retirer le flash mais je ne sais pas y faire. J’ai redéclenché, il s’est à nouveau retourné et bien qu’à la troisième fois il ait eu dans les yeux l’éclat de lumière il n’a pas bronché.


Inutile de dire combien j’étais remué et à quel point cette aventure a fécondé ma relation avec le cyber-buron. C’est pourquoi j’ai choisi de commencer par vous le présenter lui, le cyber : il symbolise les harmonies auxquelles j’aspire entre l’ancien du buron, les joies de nature et les apports de la technologie ; entre le plaisir de communiquer avec vous et le ravissement de le faire avec les chevreuils et tout ce qui vit ici !