samedi 22 décembre 2012

Les vrais défis de l'hibernation


Demain je fêterai le deuxième anniversaire de mon installation permanente au buron. Premier constat : contrairement à une certaine hantise initiale sur ma capacité à tenir le coup (j’avais beau en rêver, c’était dur de se décider) et aux angoisses horrifiées de bien des proches et amis, je suis pleinement heureux de mon aventure, je prends vraiment mon pied !
Bien sûr, hiberner dans ces conditions présente un certain nombre de défis. Avec le temps déjà passé j’arrive à mieux les cerner. Non, ce n’est pas le froid. Mon entraînement et mes goûts m’y avaient préparé. Mon équipement et mes approvisionnements s’améliorent peu à peu. Il n’y a plus guère de vent, de courants froids qui circulent. La température intérieure s’est élevée quelque peu et à présent c’est par choix que je chauffe juste le minimum.
Non, ce n’est pas la neige. Je la connaissais à peine mais c’est rapidement que nous apprenons à vivre ensemble. Je savoure autant les tâches quotidiennes de faire la trace ou de dégager les panneaux solaires ou quelque fenêtre que les lumières, les formes et les spectacles virevoltants qu’elle m’offre.
Non, ce n’est pas l’isolement. D’abord il est très relatif puisque le hameau du Perrier, avec sa route et ses amis, n’est qu’à quelques centaines de mètres. Et la solitude est quand même un des grands plaisirs de l’hibernation. Surtout avec les lectures dont on me gâte, par exemple la collection des dix premières années de la revue (à suivre). De plus, depuis que j’ai acquis un smartphone, je peux m’informer et lire mes messages depuis le buron même.
Un des deux défis qui se posent vraiment c’est celui de la santé. J’ai la chance que la mienne soit de fer. Mon seul incident depuis mon installation est une crève intervenue au début de cet automne. Je fonctionne très bien avec ma prévention à base de produits naturels. Mais, pour l’hibernation, il y a quand même une exigence majeure : la marche à pied puisqu'il n’y a plus d’accès en voiture. Je surveille mes hanches et mes chevilles. Pour l’instant ça tient !
En fait le défi majeur c’est… la technologie ! Car là c’est grave ! Les diverses améliorations de la vie moderne requièrent un minimum d’habiletés qui me fuient désespérément. C’est ainsi que tous ces artefacts supposés rendre le quotidien lus agréable ont dans mon chez moi le virus de la panne, soit parce que j’ai déconné soit parce qu'ils ont besoin de quelques soins qui me dépassent.
Le solaire ? J’ai réussi à bousiller mon convertisseur à 220 volts et mes deux batteries ; je n’ai donc que peu d’heures de lumière et je ne peux plus recharger téléphone et ordi. J’ai renoncé depuis l’hiver dernier à faire marcher mon chauffe-eau à gaz. Après un dernier sursaut de quatre mois, mon groupe électrogène chinois vient de m’abandonner la semaine passée Je n’ai pas su redémarrer le petit frigo qui m’a accompagné deux étés… Et je ne veux plus réquisitionner les amis bricoleurs de passage : ils finiraient par craindre de venir me voir.
Alors ? Pour le groupe et les batteries solaires, je suis en train d’en racheter. Pour le reste ? Eh bien, il suffit de réapprendre à vivre sans. Passant par ici cet été, Damien le guide expliquait à son groupe ma permanence qu’il qualifiait de « spartiate ». Ce qui n’est pas le cas puisque je fais  bombance d’émois et même souvent de chère et de breuvage. En moi-même j’avais pensé que « frugal » serait plus exact. A présent que mon voisin Jean-Baptiste m’a prêté une lampe-tempête et m’a appris à l’utiliser, je m’incline vers l’adjectif « rudimentaire » ; il existe des technologies rudimentaires qui peuvent m’être utiles, car je suis… technologiquement très rudimentaire !
Las Fayas, le jedi 20 décembre 2012

lundi 3 décembre 2012

Un automne en parfum mauresque



Mardi soir j’ai descendu l’ami Duster au parking de la voie forestière. Jeudi midi, au vu de la neige déjà tombée et de celle annoncée, je l’ai conduit plus loin, jusqu’au bitume du Perrier, là où commence l’entretien municipal des voies. Hier vendredi, j’ai terminé les dernières bûches de vieux bois et j’ai attaqué les réserves prévues pour cet hiver-ci. Oui, l’hiver est là, aucun doute.
Un peu trop tôt, comme toujours, encore que nous ayons eu un mois de rab par rapport à certaines années. Mais ce n’est pas l’hiver qui vient trop vite, c’est plutôt l’automne qui ne dure pas assez. Il restait tant à faire !
Ce fut mon premier automne complet aux Fayes. Bien sûr placé sous le signe du bois de feu et des provisions pour l’hiver. Tout d’abord il fallait fendre les bûches débardées avec Jean-Baptiste à l’été. Un casse-bois nous facilita le travail mais… nous en avions jusqu’au cou.
Ensuite il fallait l’entasser pour l’hiver, ce qui suppose de faire place nette et donc de ranger celui qui était déjà sec. Je ne voulais pas augmenter le capharnaüm de la grange alors que les terrassements du printemps m’avaient enfin offert la place pour un bon abri à bois et à outils, en pignon ouest.
Christophe le nouveau venu dans nos montagnes accepta de m’aider de ses arts et nous en avons pris pour… deux mois.
Car, entre les plans et l’attente de la livraison des matériaux, il se passa déjà quelques semaines. Et puis, quand je dis que Christophe « m’aida », ce fut plutôt le contraire, c’est moi qui collaborai. Sans électricité, donc sans outils modernes, on n’avance pas aussi vite. Surtout quand l’un des deux membres de l’équipe n’est qu’un vague apprenti vieillissant. Surtout quand l’autre membre de l’équipe apporte ses délires (ou délices ?) de perfection charpentière.
Un matin je m’éveillai ébahi : la structure encore dénudée de nos poteaux, entraits, chevrons, poutres et autres évoquait plus les magnificences des constructions réalisées autrefois par les compagnons que mes besoins d’un simple abri. « C’est une cathédrale que tu nous fais ! » L’enfoiré m’enfonça d’autant plus : « Tu pourrais en faire une terrasse vitrée. » Je mis une semaine à m’en remettre, une semaine pendant laquelle je délirai à mon tour sur les possibilités d’usages futurs. Il faut dire qu’en surplomb (couvert !) d’automne sur un paysage de feuilles rutilantes, ou bien tombantes pour ouvrir les vastes horizons d’hiver, l’endroit se prêtait à tous les rêves. Enfin je repris le dessus et nous reprîmes nos travaux.
En dehors de cet égarement passager, j’en ai gardé deux émois merveilleux. Tout d’abord celui de mes apprentissages. Moi qui n’ai aucune confiance dans mes aptitudes de bricoleur, j’ai réappris à scier droit à l’égoïne, je me suis mis à manier le ciseau à bois, à sculpter des tenons, à entreprendre la nouvelle visseuse à batterie, à… Quelle secousse pour mes blocages ! Quelle découverte !

Et puis quels moments de partage avec ce maître de stage qui m’était tombé du ciel ! Le bouillon de soupe aux choux du midi, les conversations, les silences de contemplation ou de méditation. Avec un début de tradition : l’apéro du soir en mauresque sous les lueurs du couchant. J’ai même pensé baptiser mon abri (puisque bardé il ne fait plus cathédrale) « la Mauresque ». Mais non, ce sera « l'abristophe ». C’est plutôt cet automne qui restera comme celui de « la mauresque ».
Las Fayas, samedi 1er décembre 2012
Note : l’obsession de traduire dans les deux langues a fini par me bloquer. Donc, depuis novembre, il n’y a plus de correspondance exacte entre le blog français et celui en espagnol. Avis aux amateurs !

vendredi 31 août 2012

21. Retrouvailles avec l’été : du pur bonheur !


N’exagérons point, il y a quand même quelques arrière-goûts moins savoureux. Du style déboire. Comme ce matin pas si lointain où dès le réveil j’ai voulu mettre mon portable en charge et où je me suis emmêlé les pinceaux. Résultat : mon convertisseur de 12 volts en 220 volts est cramé. A changer. Et à prendre la bonne résolution de ne pas toucher aux batteries avant l’heure lucide.

Du style confirmation. Nul n’est parfait. Aucun lieu n’est paradis. Même ici. Dès juillet j’ai pu constater que j’étais dans le collimateur d’une proche tribu de malfaisants qui cherche à faire de notre zone son fief exclusif. Résultat ? Rien de grave ; ils sont tellement transparents que je m’y attendais ; donc cette année j’avais profité de mes voyages pour préparer ma réponse ; alors il m’a suffi de donner un feu vert pour me savoir protégé et dormir en paix, sans m’émouvoir.

Sinon, oui, que du bonheur ! Je commençais déjà à surmonter l’horreur caustique de mon rond-point abrasif quand j’ai pu motiver mon voisin Jean-Baptiste à entreprendre nous-mêmes le débardage artisanal du lot de bois que « mon grand » (oui, c’est un de ces faiseurs de buron dont j’ai promis de vous parler un jour) nous transférait.

Avec nos deux brouettes magiques (Vous ne saviez pas ? J’ai acheté la mienne ! Elle s’appelle « Caucase »…), nos tronçonneuses et la remorque attelée à Duster, nous avons ébranché et débité sur place, nous avons chenillé nos œuvres jusqu’à la remorque et nous les avons entassées sur la plate-forme multiservices qui surplombe mon buron et que je nomme habituellement le parking. En trois jours et demi nous en avons fait les quatre cinquièmes.

Et ce fut du pur bonheur : travailler à la fraîche dans le sous-bois alors que dehors le soleil écrasait ; s’offrir des pauses assis dans les feuilles mortes en contemplant les jeux de lumière sur les feuilles vertes (Jean-Baptiste est encore nouveau pour ce qui est du rythme retraité, il faut que je lui apprenne un peu la pose des pauses, mais ce sera dur car il ne fume pas) ; s’adonner au plaisir de nettoyer progressivement et de laisser un sous-bois engageant et non pas un champ de bataille…

Le 5 août au soir un énorme orage, avec grêlons en œufs de pigeon, est venu ravager nos chemins, les myrtilles et un tronçon de mon nouveau remblai. Eh bien, même là j’ai trouvé mon bonheur ! Que d’apprentissages sur les voies de l’eau dans mon rond-point et sur l’importance d’un entretien régulier des écoulements sur lesquels j’essaie de veiller hors de mon buron ! Que de réjouissances en reprenant ensuite mes aménagements divers, alternant les nivellements de terrasses, les améliorations de drains, les premières ébauches de revégétaliser mon entour, les rêves éveillés et leurs retours de tendresse !

Revégétaliser... de manière artisanale... et avec la brouette magique
Alterner, en cette saison, c’est fonction du soleil. Surtout quand la canicule s’est installée. Donc, au gré des heures et des ombres. Avec une nouveauté pour moi. Les longues journées me reprochaient de mal m’alimenter puisque que je ne me décidais à rentrer en intérieur qu’à la nuit bien tombée ? Progressivement je me suis mis à déjeuner un peu (et parfois plus) en début d’après-midi, ce qui m’a plu (je l’avoue) car ça s’achevait invariablement en sieste de hamac. J’ai plus souvent ronflé dans le hamac cet été qu’au cours des trois précédents réunis !

C’est ainsi que j’ai célébré mes retrouvailles avec l’été. En m’enivrant des autres saisons que je découvrais au buron, j’avais dévalorisé les ardeurs estivales. Nous nous sommes réconciliés !

Las Fayas, le mercredi 22 août 2012

mercredi 25 juillet 2012

20. Quand le buron se fâche…


Deux mois déjà. Combien de billets ai-je écrit dans ma tête au cours de toutes ces semaines ! Mais impossible de passer à l’acte. Ça ne voulait pas sortir, ça ne pouvait pas sortir.
Au début c’était surtout à cause de l’agitation qui régnait au buron. Alors que j’en étais encore à rêver de ma magie-brouette à chenilles, survint l’opportunité tant attendue d’un ou peut-être deux jours de mini-pelle pour m’aider dans mes terrassements. Entre pannes et prolongations ce furent presque trois jours mais qui m’occupèrent deux semaines. Et laissèrent mes espaces sud jonchés de tas de grosses pierres, de terre végétale, de terre à remblai.
Puis il fallut bien partir vers le Caucase pour recentrer les activités de l’Arménie, démarrer celles de Géorgie et, ô bonheur, passer le flambeau à mon successeur. Ce fut super-intensif, ce fut hyper-productif, mais j’en revins laminé, avec des énergies aussi épaisses qu’une tôle plate de zinc.
Foin des états d’être ! Aussitôt rentré, début juillet, une nouvelle session mini-pelle devait compléter et nettoyer les travaux antérieurs. Tenir, donc. Disons deux jours.
Finalement ce furent quatre jours. Les aménagements que je délirais tant n’étaient guère à portée de main ni de brouette, mais à portée de machine oui ! Je me suis laissé embarquer : rogner et talusser la « falaise » qui apeure ma porte sud ; en remettre une couche de plus puisque l’ancien mur à bachat[1] commence à s’effondrer et devient dangereux ; combler et consolider les décaissements au long de la voie empierrée à l’est ; élargir et aplanir la terrasse nord…
J’étais aux anges : mon grand remblai atteignait à présent les dimensions prévues depuis longtemps, augmentant la surface où mes chevilles puissent encore me promener dans quelques années ; les espaces correspondaient à peu près à mes diverses divagations et je pourrais commencer les adaptations pour une remise à bois et outils, pour installer quelques fleurs et légumes, pour établir des recoins où me pauser suivant l’heure, le vent et l’ensoleillement…
Deux jours plus tard je m’éveillais horrifié en constatant que mon buron avait déménagé ! Lui qui me réjouissait de son entour de nature se trouvait à présent placé… au milieu d’un rond-point terreux et caillouteux ! Je m’étais laissé gagner par la logique circulante des chenilles, par l’éventuelle facilité d’accès partout sur quatre roues, par… la bêtise.


Vide d’énergies, le cœur en berne, la tête nase, le moral à zéro, je me suis traîné pendant plus de quinze jours, sans forces pour ré-entreprendre ma vie d’avant le Caucase. Les longues journées d’été ne suffisaient plus à mon réconfort. J’ai commencé à guetter la présence de quelque mal physique. En vain.
C’est samedi matin que j’ai commencé à comprendre. Les énergies telluriques ont été bouleversées, roches et eaux s’étant déplacées. L’harmonie qui d’ordinaire me regonfle ici a été perturbée. Le buron s’est fâché. J’ai ensuite pu l’exprimer oralement avec mes voisins. Diantre ! Aujourd’hui lundi ça va mieux, je bosse, je parviens même à bloguer. Tout n’est peut-être pas perdu ! Si je fais amende honorable, peut-être le buron m’offrira-t-il une deuxième chance et son harmonie…
Las Fayas, le lundi 23 juillet 2012


[1] Bachat: bac creusé dans un tronc de fayard où coulait l’eau de source pour les besoins de la famille.

dimanche 27 mai 2012

19. De la girouette tragicomique à la brouette magique


Perturbé mais content, c’est ainsi que j’étais revenu de Bolivie. Epuisé, c’est sûr, en lisière de surmenage, mais c’était normal après un rythme trop intense pour l’âge rance et un voyage de retour à détours et rallonges de jours (trois au total). Mais plutôt perturbé : il n’est pas évident de recueillir ses pas là où il avait fallu choisir… et s’amputer, comme toujours. C’est à Cochabamba que j’avais opté pour le buron il y a deux ans. C’est à Cochabamba que j’ai terminé ce bref séjour et que j’ai savouré… ce que j’avais alors abandonné. Reprendre place au buron n’était pas qu’anecdotique.
Mais content cependant. Content de mes retrouvailles avec les Andes, d’avoir pu y circuler, y travailler, y reprendre mon vieux métier. Mission accomplie !
¿Mission accomplie ? Alors que j’en étais encore à m’imbiber des effluves de ma montagne et des ardeurs de mes tâches en cours, ce fut le coup de massue ! « Il manquait… » Il manquait bien des choses à mon rapport final de cette « évaluation prospective » et voilà qu’on m’en redemandait, et en urgence.
J’ai craqué. Impossible de me remettre à remplir les cases de l’évaluateur, car en fait c’est un métier qui n’est pas le mien. Impossible même de retrouver la vision et la clarté du « prospecteur ». J’ai fait ce que j’ai pu, donc peu, et j’ai préféré jeter l’éponge, renoncer au contrat et au paiement, donc aux tensions et aux responsabilités, de peur d’encore oblitérer mon esprit pour un an.
J’étais au fond du trou, toute confiance perdue, toute angoisse bue. Je me suis jeté sur pic, pelle et brouette pour m’étourdir de cette fatigue autre qui régénère.
Et puis, un matin, les ondes atteignant à nouveau le buron, j’ai découvert un message attentif à mes déboires et me libérant des « compléments » sans résilier mes émoluments. Quelques heures plus tard, c’est le téléphone du Caucase qui m’annonçait qu’enfin des actes avaient commencé à donner vie aux mots et aux délires, que la stratégie inventée avait quelques fruits, que l’optimisme pouvait revenir… et que mon remplacement était assuré. Du fond de mon trou je suis passé sur un nuage.
Faire ainsi la girouette ascensionnelle n’est pas très bon pour ma tête. Mais que c’est énergisant quand elle trouve un vent porteur d’espoir ! Eh bien elle a continué dans la bonne direction ma girouette car, quelques heures encore, et c’est la brouette magique qu’elle m’apportait.

La brouette magique. On dit qu’il ne faut pas être envieux mais j’avoue que je l’étais un peu. De mon voisin Jean-Baptiste et de sa brouette. J’en ai une moi-même. J’en ai même deux. Mais la sienne ! Avec moteur et chenillettes. Pour passer partout et sans porter. Démarrant sans besoin d’être expert. Et voilà que Jean-Baptiste proposait de me la prêter en son absence !
Mercredi j’ai fait mon apprentissage en compagnie de Bertrand et Isabelle, autres buronniers présents en ces jours. Hier, jeudi, je me suis déniaisé tout seul entre mes tas de bois. L’euphorie ! Mais je ne suis plus envieux, je suis salement jaloux à présent : c’est vraiment ce qu’il me faut.

Sauf qu’il faudra missionner pour pouvoir me l’offrir… C’est ça mon paradoxe. D’aucuns poussent leur brouette en rêvant de voyages au long cours. Moi je pousse mes voyages au long cours en rêvant de brouette magique !
Las Fayas, le vendredi 25 mai 2012

lundi 30 avril 2012

17. Depuis les Andes d'Amérique

Ce billet a été écrit en espagnol et je n'ai guère loisir de le traduire en ce moment. Les intéressés peuvent le voir sur le blog en espagnol.

vendredi 27 avril 2012

18. La vraie solitude, c’est celle du consultant



Souvent je ressens chez les autres un certain trouble face à mon goût de la solitude en buron d’Auvergne. Je m’essaie alors à comprendre un peu mieux qui je suis, le pourquoi de cette tendance.
La première explication qui me vient est généralement l’entraînement vécu à la ferme natale, en Champagne. Elle était isolée et je n’y ai guère développé le sens des relations. Bien sûr, entre parents et enfants nous étions onze, mais déjà ma nature me portait à me mettre à l’écart, à vivre beaucoup dans ma tête, dans mes rêves et mes délires.
Une autre piste qui sourit à mon esprit c’est que depuis plus de quarante ans je suis devenu « étranger ». En Amérique Latine bien sûr où j’ai passé le plus clair de mon temps, mais en France également puisque j’étais devenu tellement « autre » que je ne m’y reconnaissais pas, qu’encore je ne m’y reconnais guère.
Aujourd’hui je viens de découvrir une vraie raison. Elle m’est tombée dessus alors que je me traînais dans mon appartement, à La Paz, incapable d’écrire le rapport attendu parce que je ne réussissais pas à atteindre ce degré extrême de concentration qui me permet de dire et non pas de faire du simple remplissage : ¿comment pourrais-je me sentir seul au buron alors que j’ai passé tant d’années dans une des pires sortes de solitude, celle du consultant qui navigue de pays en pays, d’hôtel en hôtel ?
Le Caucase où je suis autiste semblait vraiment extrême. La Bolivie allait-elle me régénérer en plus de m’offrir un quotidien en espagnol ? En fait, il ne s’agit pas seulement de la Bolivie. Pour pouvoir y venir j’ai accepté d’être évaluateur et aujourd’hui la solitude du métier m’a pris dans ses serres et m’a étouffé. Quand j’ai enfin, cet après-midi, abandonné l’obsession de la feuille blanche et remis à demain, c’est au buron que je me suis évadé…
Au départ je craignais de ne pas être capable d’y travailler. Les conditions rustiques n’étaient pas évidentes. Devrais-je me remettre à la machine à écrire faute d’énergie pour mon ordi ? Valait-il la peine d’acquérir un bon fauteuil de bureau pour supporter les sessions fessières ? Et voilà qu’au contraire le buron est devenu mon lieu préféré pour écrire. Pourquoi ?
Parce que je n’y suis pas seul. Parce qu’il me suffit de sortir pour entrer en partage avec la nature, avec le milieu, avec les éléments, et de m’y ressourcer. Oh, je savais bien qu’il n’est pas pire solitude que celle de la ville, du moins pour celui qui n’y est pas entraîné, qui n’en a pas la fibre. Mais je ne m’attendais pas à me laisser surprendre par l’intensité d’une telle souffrance.
Mais bon, demain je quitterai la ville. Pour aller dans une autre, Cochabamba, mais cette fois j’y serai en famille, en partages, en complicités. J’y rechargerai mes batteries aux sources de l’amitié, des valeurs communes, des parcours de vies qui se croisent et se rejoignent depuis des décennies maintenant. Et la semaine prochaine ce sont ces présences ravivées que je rapporterai aux Fayes et qui m’y accompagneront.
Dire qu’aujourd’hui je devais écrire sur des histoires de gestion du risque de catastrophes naturelles et sur le changement climatique ! Rodrigue, qui l’eût dit ?
La Paz, Bolivie, le vendredi 27 avril 2012

vendredi 30 mars 2012

16. Le Duster est-il assez pauvre ?



C’était l’inconnue. Hier, sur la route, j’avais fait des courses plus « lourdes » que ces derniers mois. J’espérais qu’en mon absence, la glace aurait suffisamment fondu pour que je puisse monter jusqu’au buron. Sinon, j’en avais pour plusieurs voyages à pied avec mes valises, mes provisions et autres…
Gagné ! Pour la première fois depuis fin novembre, j’ai pu accéder au buron avec mon véhicule !
Perdu ! J’ai passé une bonne partie de la soirée dans mes débats et contradictions !
Après avoir longtemps tergiversé, je m’étais décidé, fin 2010, à acheter un 4x4 pour ne pas avoir à trop porter. Je savais que c’était indispensable mais je ne voulais pas deux véhicules ; or l’âge ne me permet plus guère de grands voyages en tape-cul de petit 4x4 rustique ; or mon portefeuille et mon âme ne m’autorisent pas un gros 4x4 polluant et grand consommateur. C’est l’invention du Duster qui m’a décidé. Rationnellement je ne pouvais espérer mieux.
Un monstre sur ma terrasse!
Rationnellement ? Quel choc effroyable quand, il y a juste un an, je me suis pour la première fois réveillé au buron avec ce monstre devant ma porte ! J’étais effaré ! Qu’est-ce que cette bête neuve et luisante venait faire chez moi? Une verrue sur le buron ! Je l’ai exilé sur l’ancien parking des communaux, pour le voir le moins possible.
Comme il était quand même si pratique et qu’il m’offrait des perspectives de durer plus longtemps ici malgré l’âge, je m’y suis habitué. En tâchant de garder un peu d’autodérision : dans mon journal de l’époque, j’avais baptisé la plateforme d’accès à ma terrasse depuis la voie empierrée du nom de « Autel Duster », un peu comme pour un veau d'or.
En exil...
Et voilà qu’hier soir je pensais à lui avec tendresse et reconnaissance ! Alors que, jeudi dernier encore, en Arménie, j’étais en débat avec les développeurs qui prétendent « lutter contre la pauvreté »… Je reprenais mes arguments comme quoi la misère est inacceptable mais la pauvreté matérielle est non seulement acceptable mais bienvenue car la planète ne supportera plus longtemps l’extension d’un mode de vie basé sur cette idée de richesse et de consommation qui prédomine aujourd’hui. « Je ne lutte pas contre la pauvreté mais pour que tous nous puissions, en pauvreté, valoriser et savourer tant de richesses de vie que nous avons. » C’est ce que j’expliquais. C’est ce que je cherche à vivre moi-même.
Oui mais, et le Duster ? Et voilà que je m’en éprends ! Vous imaginez ma soirée… Qui finalement ne s’est pas trop mal terminée. Je me suis auto-convaincu que je n’avais guère le choix. Et, puisque je n’ai nullement quêté la frime, quel mal à ce que j’y mette la rime ?
C’est ainsi que, ce matin, je me suis éveillé plus serein. Et disposé à goûter à nouveau les joies de cette vie au buron où, précisément, je m’efforce d’avoir une faible empreinte écologique et une énorme réjouissance de nature, un bal de compagnies variées, un bain de diversité rayonnante. La « vraie vie », diraient ou gausseraient certains…
Tiens, j’ai vu que les premiers pissenlits sortent, même ici. Je vais faire ma cure printanière. Le Duster ne m’en empêchera pas !
Las Fayas, le vendredi 30 mars 2012

15. En mars, la vie en tas


Le samedi 17 mars je quittais le buron vers la Champagne natale puis le Caucase. Soudain survint l’envie frénétique de photographier mes multiples tas de bois. Pourquoi envie frénétique ? Parce que je terminais deux longues semaines de frénésie. Dans les bois qui furent prés communaux au-dessus de chez moi, autrefois. Deux longues et savoureuses semaines à abattre, débiter, entasser et nettoyer. A ouvrir le ciel vers l’est et à récupérer un peu plus d’ensoleillement de mes panneaux solaires pour le prochain hiver.
Alors, avant de partir, il me fallait un inventaire et bilan, des images de mon paysage de plus en plus parsemé de tas de bois anciens et récents, de tas de branchages anciens et récents, mais de façon déjà plus ordonnée et efficace.
Les tas anciens sont ceux sur lesquels je comptais pour cet hiver 2011-2012. Il en reste, oui. Entre mes absences et mes économies, j’ai pu tenir et j’ai du rab. J’ai même encore un peu de chêne à l’étage grange-buron.
Ça baisse mais il y en a encore...

Il y a aussi le gros tas bien rangé de hêtre et d’érable qui sera la base de mon chauffage pour l’hiver 2012-2013. Insuffisant bien sûr, mais c’est une garantie.
Et puis il y a maintenant les tas de bouleau de ce mois de mars. Le soleil de fin février avait fait fondre un peu de neige ; des zones étaient libérées, je pouvais y travailler sans trop de danger. Dès le premier mars j’ai essayé la tronçonneuse. Elle a bien démarré. J’étais lancé. Avant que la sève printanière ne commence à grimper dans les troncs, j’ai abattu et abattu. Tout ce dont je me sentais capable de faire le nettoyage avant de voyager.
Bien sûr, j’ai ensuite été retardé par deux jours de nouvelles chutes de neige et l’attente de sa fonte. Je n’ai pas pu finir à temps. Mais quelles semaines ! Je les ai eus ces travaux en extérieur dont l’hiver m’avait privé ! Du matin au couchant. En journées de plus en plus prolongées. En rythme paisible, puisque mon corps m’a réprimandé, mais en émoi intense.
La lumière qui parvenait enfin au sol et aux myrtilles me réjouissait le cœur et me reliait à ceux qui les cueilleront cet été. L’énorme tas de branchages alimentait le rêve de futures sessions en partage autour d’un broyeur pour les transformer en tapis de potagers et autres cultures. Les amas de rondins de bouleaux m’offraient tout un programme de travaux prochains pour fendre et expérimenter un meilleur séchage. Les bonnes branches de sorbier me défiaient à de nouvelles expériences sur leurs possibles utilisations.
Un régal de branchages à broyer...

Chaque tâche et chaque pause étaient ainsi fleuries de pensées joyeuses, de communions avec la nature, mes voisins, mes visiteurs à venir…
Dans la défriche il y a un avant et un après
Mais le pied, c’était quand un recoin semblait assez dégagé (j’ai gardé quelques arbres, pour les oiseaux, parce qu’ils sont beaux, parce qu’on pourrait y accrocher un hamac, parce qu’une ombre est douce pour les pauses et les siestes…) : avec la fourche, avec le râteau à feuilles, avec divers outils, j’essayais diverses techniques pour ramasser tous ces débris de forêt qui pourraient encore gêner le geste auguste des grands myrtilleurs du Perrier, ceux qui récoltent au peigne industriel
Je suis rentré hier soir. Demain je m’y remets…
Las Fayas, le vendredi 30 mars 2012

mercredi 29 février 2012

14. Un quotidien de… désapprentissages


Février se termine et je suis heureux d’avoir pu m’essayer ici à ces grands froids, à cet enneigement, à ce retour à un hiver un peu plus réel que celui de l’an dernier. C’est vivable ! C’est même savoureux.

Mon chauffage s’est amélioré, encore que je doive limiter le Thierry car il perd sa tresse et pourrait s’emballer ; bientôt il me faudra expérimenter son remplacement. Mais mon bois de feu a été meilleur et suffisant ; j’ai mieux entrevu les différences entre les essences, leur qualité, la façon dont elles ont été débitées, fendues, séchées, entreposées. Mes calfeutrages ont progressé, même s’ils ne sont encore que des rafistolages.

Les provisions montées à l’automne ont à peu près tenu, avec bien sûr l’aide de mes absences. Cependant il faudra mieux calculer les jus d’orange, les apéros, le vin. L’essentiel quoi ! Mais quel soulagement de ne pas craindre la fin des bouteilles de gaz, ni l’éclatement des tuyauteries, ni l’insuffisance de courant solaire. Oh, j’ai quand même passé deux semaines aux bougies (et je me suis rendu compte que j’avais oublié d’en faire des réserves) quand les brouillards dominaient et que je préservais l’énergie pour mon ordi… C’est surtout que j’avais zappé l’entretien de mon groupe électrogène et qu’il m’a fait faux bond !

Enfin, je me suis un peu plus découvert moi-même ! A présent plus rassasié de ce lieu, j’ai moins souvent quitté le lit avant l’aube pour aller quêter les images et les vents nocturnes. Et j’ai éprouvé quelle est la plus grande absence de l’hiver, son plus grand vide : les travaux d’aménagement à l’extérieur. Le sol congelé et la couche de neige ne se prêtent guère aux activités que je choie le plus ; elles m’ont manqué. Sans l’obsession de la survie qui m’occupait l’an dernier, leur désertion s’est remarquée. Une autre absence : il a bien fallu constater que cette vie de buron est difficilement partageable et qu’il y faut s’assumer en vieux garçon.

Il y a cinq jours j’avais préparé un billet pour les deux blogs qui s’appelait « apprentissages de froid et de neige ». Il a suffi que je ne puisse pas le poster de suite pour qu’il perde tout son sens. Comment préserver le chauffe-eau ? J’avais tout faux et je devrai quand même démonter le brûleur pour le nettoyer. Comment faire des traces dans la neige qui garantissent un bon transit ? Elles n’évoluent pas du tout comme je l’avais imaginé. Comment affronter les eaux abondantes de la fonte des neiges ? La poudreuse actuelle a peu d’eau et elle s’infiltre lentement sans provoquer de grands ruissellements. Comment éviter la formation de congères sur mes chemins ? Eh bien, il semble qu’on ne les évite pas, du moins avec des moyens réduits. Et ainsi de suite…
La belle trace des raquettes, elle fond mal. La moche fond plus vite !
Alors c’est peut-être ça mon principal apprentissage de cet hiver : il faut savoir relativiser les apprentissages et commencer par désapprentir chaque jour ce que l’on croyait avoir appris la veille !

Oh, ce n’est que la deuxième fois que je m’essaie à cette permanence, il y aura bien des choses qui perdurent… Je l’espère. Mais je peux reprendre ma dernière phrase du billet que je n’ai pas envoyé et qui gît à présent dans le fichier des « écartés » :

« Le plus beau dans tout ça ? La vie au buron ça n’est jamais une routine ! Du moins pas celle qu’on prévoit… »

Las Fayas, le mardi 28 février 2012

mercredi 8 février 2012

13. Le grand froid est arrivé. Moi aussi…

Qu’est-ce que j’en ai profité de mes dernières nuits à La Ceiba, au Honduras, où j’étais venu me perdre pour donner un coup de main à l’ami Humberto. Je savais qu’en France le grand froid s’installait alors que la côte atlantique du Honduras offrait son meilleur climat de l’année : ni chaud ni froid, même pas besoin d’un ventilateur. Je dormais à poil sur le lit, savourant ces moments de liberté du corps avant d’avoir à me couvrir de sept ou huit couches différentes pour supporter les fortes gelées de mon buron français. Chaque jour je consultais la météo et je savais que m’attendait une température entre moins quinze et moins vingt.

Quarante degrés de différence en quelques heures c’est beaucoup. Même quand on croyait être entraîné : en arrivant à Paris le jeudi 2 février, j’ai pris une grosse claque gelée dans la gueule ; en voulant rallumer mon portable avec des gants je l’ai mis en panne ; sans téléphone pour bien coordonner, à Troyes j’ai dû choper le seul taxi présent pour qu’il m’emporte dans une maison chaude, celle de mon frère, parce que je ne supportais pas l’attente glaciale.
En Champagne je suis resté une journée de plus que prévu, sous prétexte de veiller sur ma mère. Mais il fallait bien affronter : le dimanche 5 j’ai conduit les huit heures qui me séparent qui me séparent des Fayes. Bon, pas exactement des Fayes ; la neige empêchait évidemment de monter en voiture au buron ; j’ai laissé ma bécane au Perrier où finit le bitume, j’ai chaussé les raquettes et j’ai grimpé, le sac à dos sur les épaules et la valise à la main. Vingt fois je me suis arrêté pour me reposer et pour bouger mes mains congelées malgré gants et sous-gants.

Ne croyez que j’aille me plaindre car, s’il fut dur d’arriver, qu’il fut bon… d’être arrivé ! Point trop de neige : je n’ai pas eu à creuser pour atteindre la poignée de la porte d’entrée. Les panneaux solaires étaient dégagés et les batteries chargées. Dedans il ne faisait que moins trois, le Thierry était préparé et il a suffi d’une demi-heure pour atteindre plus un.

J’avais déjà eu l’occasion d’arriver après une vague de grand froid mais c’était la première fois que je faisais pendant l’ère glaciaire : l’aventure ! Et que d’apprentissages…

Malgré mes précautions de bien vidanger tous les tuyaux et même de démonter le compteur d’eau, tout le système était congelé. Il m’a fallu chauffer pendant vingt-quatre heures, avec le petit poêle à pétrole, tronçon par tronçon des moins de huit mètres de plomberie pour rétablir enfin un fonctionnement normal.

Avec le gaz de la cuisinière, il en fut de même : le dimanche je rêvais d’un bon café mais je n’obtenais qu’une petite flamme maigrichonne ; j’ai pensé que la bouteille serait vide mais j’ai quand même essayé de la réchauffer un peu et elle m’a démontrée qu’elle n’était qu’engourdie.

C’est ainsi qu’hier lundi fut une journée très spéciale : je l’ai passée à bouger le poêle à pétrole le long des tuyaux et à charger le Thierry avec mon meilleur bois de feu pour atteindre une température agréable. J’ai délaissé toutes les autres urgences pour me consacrer à câliner le buron, à me faire pardonner l’absence. A peine si je m’éloignais un peu pour tracer des chemins dans la neige, rentrer des bûches, accueillir lumières et rayons du soleil, déguster café ou apéro en terrasse.
Et le buron m’a remercié. Ce matin du mardi, à sept heures, j’ai battu mon record : vingt trois degrés de différence entre intérieur et extérieur ; plus sept dedans et moins seize dehors. Et je peux le dire : depuis que je suis arrivé je n’ai jamais eu vraiment froid !

Les Fayes, le mardi 7 février 2012

lundi 2 janvier 2012

12. Le nouvel an est venu avec des voeux... et des torrents


Non, désolé, vous n’êtes pas les premiers à qui, en cet an nouveau, je présente mes meilleurs vœux pour 2012. D’autres sont arrivés avant, par surprise. Des voisins inconnus, qui ont leur résidence secondaire dans le hameau en dessous, étaient sortis pour une balade, nous nous sommes croisés, nous nous sommes salués et nous avons échangé les « bonne année ».

Nous nous sommes croisés mais ce n’était pas dans mes plans. En fait, je n’étais pas en balade. C’était presque midi et j’étais sorti, en pyjama, peignoir, bonnet péruvien et lampe frontale, pieds nus dans les sabots, boire un café en terrasse sud-ouest avant de me mettre à écrire. Mais j’ai eu du mal à me retenir : le paysage était une symphonie d’eaux : cinquante centimètres de neige fondaient à tout va et l’eau chantait de tous côtés.

Dans ma tenue, puisque d’ordinaire je suis seul, je suis descendu, poussé par la curiosité de voir si mes écoulements fonctionnaient, si le torrent courait dans les chemins ou se distribuait dans les prés. Je suis arrivé à la voie empierrée. Le grand flot d’en haut était stoppé par le deuxième drain. Joie. Le petit flot qui sort de mon pré submergeait le troisième drain et se déversait sur le sentier. J’ai décidé de le suivre pour vérifier les effets.

C’est ainsi que j’ai croisé ces voisins. C’est ainsi que mon programme du jour a changé : point d’écriture ; il s’agit de mieux canaliser drains et fossés, de profiter de la force des eaux pour nettoyer les chemins. Je suis monté me changer et prendre les outils et je me suis offert… un jour de gloire. Les pieds dans l’eau, poussant feuilles, mottes et branchages. J’ai même savouré la première heure de soleil depuis quatre jours. Jusqu’à ce que le brouillard se rétablisse, jusqu’au théâtre du couchant.

Ce n’est que maintenant que je peux revenir au clavier et vous saluer : je nous désire à tous une joyeuse année 2012.

Pourquoi joyeuse et non point prospère comme on dit en espagnol ? Parce que c’est ce que 2011 m’a enseigné. Il y a longtemps que je n‘avais pas passé tant de temps sans vous voir, vous. Cependant c’est vous qui avez rempli d’allégresse mon 2011, cette première année complète en montagne. En permanence vous étiez présents, m’accompagnant dans mes apprentissages, me guidant de nos rêves qu’à présent j’essaie de transcrire en vie après l’avoir surtout fait en livres. Et votre présence m’a donné la force de jouir de chaque détail de l’instant, de la plus minime amélioration matérielle, de chaque nuance du jour, au lieu de me lamenter de l’absence de ce que la prospérité aurait pu me fournir.

« Nos rêves » ? Eh oui, quelque rêve de ce que peut être la vie rurale nous a inspiré au long de ces années. Hier soir j’ai été surpris. Je dînais seul, donc avec vous et avec moi. Une bouteille de champagne et un foie gras (pour la quantité je n’ai aucun mérite, je me suis saturé de manger la semaine dernière). D’un coup surgit un joyeux bilan de 2011 : qu’est-ce que j’ai pris mon pied ! Mon journal de bord était « l’apprentissage de la survie » : jamais je ne me suis senti en survie ici. Le climat, mon entraînement à me réjouir de peu et l’appui d’amis ont suffi pour que tout soit merveille.

2012 alors ? C’est ça qui m’intrigue ! J’étais incapable de le rêver. Ça ne sortait pas. Peut-être pour quelque illusion absente ? Et certaines absences sont dures à vivre. Mais peut-être aussi parce qu’il s’agit d’un apprentissage : je ne suis plus là pour apprendre à survivre mais pour apprendre à vivre, tout simplement. Bienvenue 2012 !

Et si pour vivre l’important était de savoir recevoir et partager plus que de savoir rêver ?

Traduction littérale de l’original en espagnol, Les Fayes, le dimanche 1er janvier 2012