Non, désolé, vous n’êtes pas les premiers à qui, en cet
an nouveau, je présente mes meilleurs vœux pour 2012. D’autres sont arrivés
avant, par surprise. Des voisins inconnus, qui ont leur résidence secondaire
dans le hameau en dessous, étaient sortis pour une balade, nous nous sommes
croisés, nous nous sommes salués et nous avons échangé les « bonne
année ».
Nous nous sommes croisés mais ce n’était pas dans mes
plans. En fait, je n’étais pas en balade. C’était presque midi et j’étais
sorti, en pyjama, peignoir, bonnet péruvien et lampe frontale, pieds nus dans
les sabots, boire un café en terrasse sud-ouest avant de me mettre à écrire.
Mais j’ai eu du mal à me retenir : le paysage était une symphonie
d’eaux : cinquante centimètres de neige fondaient à tout va et l’eau
chantait de tous côtés.
Dans ma tenue, puisque d’ordinaire je suis seul, je suis
descendu, poussé par la curiosité de voir si mes écoulements fonctionnaient, si
le torrent courait dans les chemins ou se distribuait dans les prés. Je suis
arrivé à la voie empierrée. Le grand flot d’en haut était stoppé par le
deuxième drain. Joie. Le petit flot qui sort de mon pré submergeait le troisième
drain et se déversait sur le sentier. J’ai décidé de le suivre pour vérifier
les effets.
C’est ainsi que j’ai croisé ces voisins. C’est ainsi que
mon programme du jour a changé : point d’écriture ; il s’agit de
mieux canaliser drains et fossés, de profiter de la force des eaux pour
nettoyer les chemins. Je suis monté me changer et prendre les outils et je me
suis offert… un jour de gloire. Les pieds dans l’eau, poussant feuilles, mottes
et branchages. J’ai même savouré la première heure de soleil depuis quatre
jours. Jusqu’à ce que le brouillard se rétablisse, jusqu’au théâtre du
couchant.
Ce n’est que maintenant que je peux revenir au clavier et
vous saluer : je nous désire à tous une joyeuse année 2012.
Pourquoi joyeuse et non point prospère comme on dit en
espagnol ? Parce que c’est ce que 2011 m’a enseigné. Il y a longtemps que
je n‘avais pas passé tant de temps sans vous voir, vous. Cependant c’est vous
qui avez rempli d’allégresse mon 2011, cette première année complète en
montagne. En permanence vous étiez présents, m’accompagnant dans mes
apprentissages, me guidant de nos rêves qu’à présent j’essaie de transcrire en
vie après l’avoir surtout fait en livres. Et votre présence m’a donné la force
de jouir de chaque détail de l’instant, de la plus minime amélioration
matérielle, de chaque nuance du jour, au lieu de me lamenter de l’absence de ce
que la prospérité aurait pu me fournir.
« Nos rêves » ? Eh oui, quelque rêve de ce
que peut être la vie rurale nous a inspiré au long de ces années. Hier soir
j’ai été surpris. Je dînais seul, donc avec vous et avec moi. Une bouteille de
champagne et un foie gras (pour la quantité je n’ai aucun mérite, je me suis
saturé de manger la semaine dernière). D’un coup surgit un joyeux bilan de
2011 : qu’est-ce que j’ai pris mon pied ! Mon journal de bord était
« l’apprentissage de la survie » : jamais je ne me suis senti en
survie ici. Le climat, mon entraînement à me réjouir de peu et l’appui d’amis
ont suffi pour que tout soit merveille.
2012 alors ? C’est ça qui m’intrigue ! J’étais
incapable de le rêver. Ça ne sortait pas. Peut-être pour quelque illusion
absente ? Et certaines absences sont dures à vivre. Mais peut-être aussi
parce qu’il s’agit d’un apprentissage : je ne suis plus là pour apprendre
à survivre mais pour apprendre à vivre, tout simplement. Bienvenue 2012 !
Et si pour vivre l’important était de savoir recevoir et
partager plus que de savoir rêver ?
Traduction littérale de l’original en espagnol, Les Fayes, le dimanche 1er
janvier 2012