vendredi 29 novembre 2013

Moins dix : comment avoir chaud au buron ?

Avant de parler de froid, quelque réjouissance d'automne depuis le siège-hamac nicaraguayen

Sept heures ce matin, les lueurs annonciatrices du jour auraient dû me lever de suite mais je savourais le bien-être douillet de mon lit… dans la chambre du haut, en buron car cet éveil était prometteur : le niveau grange est devenu habitable en hiver. C’est la première année que je peux dormir à l’étage.
Toute la nuit le vent avait soufflé, en rafales violentes qui, auparavant, s’infiltraient et circulaient gaiement mais froidement : cette fois-ci, pas le moindre souffle autour de mon lit. Alors je pensais à « mon grand », le Jean-Claude qui, il y a près de dix ans, avait sauvé le bâtiment en lui offrant un toit, puis en le protégeant de l’eau qui sourd un peu partout dans nos montagnes, puis… En 2013 il venait de peaufiner l’isolation, du toit par en bas et par en haut, des murs et pignons qu’il avait rejointoyés. C’est gagné : j’ai une chambre à l’année.
C’est ainsi que je vis au quotidien, ce qui me réchauffe c’est la présence fraternelle de tous ceux qui sont intervenus peu à peu, au gré de nos envies, de mon budget, de leur disponibilité, pour que cette maison et son intérieur accueillent mes jours et mes nuits. Et c’est une très douce sensation que d’être hébergé dans un cadre où le sentiment prédomine sur le matériel, où chaque objet me rappelle quelqu’un, quelque amitié, quelque solidarité.
Car si le Jean-Claude est le premier de mes « faiseurs de buron », ils sont nombreux ceux qui forment cette confrérie. Je me suis levé et j’ai marché sur le tapis de Lydie et sous le plafond du Tophe (celui de l’abri à bois). Je suis allé vérifier la charge des batteries pour l’installation solaire faite par mon gendre Jorge. Puis j’ai dégivré la grande porte-fenêtre de Léon afin de recevoir le paysage du terrain communal.
J’ai descendu l’escalier du Tío Julio, suis passé devant la salle de bains cadeau de Jorge, une porte peinte par ma fille Yara, et suis entré dans la salle-de-vie. Un coup d’œil par la fenêtre à double vitrage et donc transparente : moins dix. J’ai inversé l’ordre des priorités habituelles (cette température est un facteur de désordre !) et j’ai tout de suite rallumé le Thierry inséré dans ma cheminée… et là j’ai perdu le fil de mon pèlerinage : cette pièce est tellement chargée de noms, de pensées, de souvenirs, qu’un inventaire relèverait d’un comptable et non plus d’un conteur !
Aujourd’hui je n’économise pas le fayard pour regagner rapidement les plus quinze en intérieur mais j’avoue que, si bien c’est un peu pour moi, c’est surtout pour rassurer les amis que mon goût de la fraicheur préoccupe et qui craignent de venir s’y frigorifier, disent certains. Il faut que je m’habitue. Quant à moi, avec quelque bois de feu et beaucoup de ces témoignages de mes faiseurs, je suis au chaud, dans ma bulle.
Bien sûr, j’apprécie les radiations matérielles mais ce n’est pas là le plus important. Un cœur tout chaud dans une maison fraîche vaut mieux qu’un cœur transi dans une maison confortable. C’est sans doute pour cela que je n’avance qu’à petits pas dans ma nouvelle amélioration, un sas en rideaux pour la porte d’entrée au sud.
Il y a deux mois le Tophe a posé l’étagère qui soutiendra la bête et m’a offert des rideaux tissés. Il y a quelques semaines Martine m’a trouvé le matériel isolant qui les complètera. Puis Janine s’est proposée pour la couture qui assemblera le tout. En prenant mon temps, je transforme un objet, un simple sas, en toute une aventure humaine, sociale, affective. Avant qu’il ne soit posé, je suis déjà réchauffé ! Après, je me réjouirai encore en mesurant son impact sur la température de la pièce…

Las Fayas, le mercredi 27 novembre 2013
Après le chaud, d'autres réjouissances, les visites. Ici Janine et ses copines en couleurs d'automne

mercredi 16 octobre 2013

Une neige au goût de pomme

le 12 octobre à 18 heures
Vous allez dire que mes sujets ne se renouvellent guère : quand ce n’est pas le bois, c’est la neige. Eh bien oui, cette année c’est ainsi. En tout nous n’aurons eu que quatre mois et demi de suite sans neige en 2013. La dernière remontait au 25 mai, celle-ci a commencé à tomber vers une heure du matin du vendredi 11 octobre !
Comme j’ai été absent plus de deux des quatre mois et demi, inutile de vous préciser que mes travaux n’ont pas avancé beaucoup. Et inutile de vous raconter le coup au moral que ce fut le samedi lorsque les flocons, plus lourds, redoublèrent d’intensité. Au total nous aurons bien eu plus de vingt centimètres. Impossible donc de passer avec le Duster : bloqués en haut ! Comme les arbres sont encore feuillus, les dégâts furent importants en branches ou même arbres cassés puisque les feuilles aident la neige à s’entasser.

Bon, il y a toujours des côtés positifs. Le jeudi je venais de faire de grosses courses pour l’hiver et j’avais donc de quoi tenir au moins un mois sans ravitaillement d’aucune sorte. Et puis, de retour d’une virée en Normandie et en Champagne (débroussailler Annik et rapporter du Philippe et de la choucroute sont des priorités dans la vie), j’avais des tâches ménagères au programme : les pommes ramassées sous les arbres de Philippe doivent être consommées ou transformées rapidement. J’avais des programmes de compote et de gelée.
Sauf que… je n’ai jamais fait de compote ni de gelée. Et que je n’ai aucun sens des quantités. Samedi, peler des fruits et cuire une énorme marmite. Et faire bouiller épluchures et trognons (un souvenir du Pérou). Dimanche, tamiser les pommes et remplir les pots de compote. Lundi, faire la gelée. Mardi, tout laver et nettoyer. Au moins, quant à l’effort je sais me mesurer et distribuer dans le temps.
Sauf que… je n’étais pas vraiment équipé. Par exemple, ni torchons propres, ni vrai tamis : j’ai utilisé la chaussette à café. Pas très grande : en laissant goutter les douze litres m’auraient sans doute pris une semaine ; alors j’ai fait appel aux souvenirs d’enfance à la ferme natale et j’ai commencé à traire la chaussette, multipliant les essais de techniques (deux doigts, trois doigts…). Par exemple, je n’avais pas assez de sucre pour une vraie gelée, alors j’ai fait léger et mon produit un peu coulant pourra se mélanger en dessert… en tarte ou dans la compote non sucrée.
Ce ne furent pas mes seules expérimentations. Le bouillon des épluchures m’a bien inspiré : avec un peu de sucre de canne et de citron, voilà que ça fait une excellente infusion chaude qui remplace le café tant que mon stock ne se termine pas. Avec du citron, du sirop de canne roux et un bon rhum blanc, voilà que je me retrouve avec un apéritif très sympathique. J’avoue avoir procédé à de nombreuses expériences de dosages, dès le samedi. Bien sûr, comme je n’ai rien noté je les ai déjà oubliés ces dosages… mais j’ai acquis une certaine culture de la chose, c’est déjà ça.
Ça va ? Vous imaginez mes journées de neige ? Oh, il vous manque la partie strictement gastronomique car j’avais eu un jeudi de délire et j’avais acheté un kilo et demi de foie de porc et plus d’un kilo de rognons, alors que, comme je le constatais vendredi, mon petit frigo à gaz s’était éteint et je n’ai pas su le rallumer. Donc, ces jours-ci : apéritif de rhum au jus de pommes, entrée de boudin blanc à la compote, ou de rognons à la compote, plat de foie ou de rognon à la compote et aux lentilles ou autre chose, dessert de pommes au four. A propos, la neige a fondu depuis dimanche. Je vais pouvoir distribuer les pommes entre les amis. Moi, j’ai ma dose !

Las Fayas, le mardi 15 octobre 2013

dimanche 8 septembre 2013

Du bois ! Du bois ! Du bois !

Le bonheur est bien variable au buron… Ces derniers mois j’avais vécu des moments inoubliables en préparant ou ressourçant les voyages lointains (Pérou puis Maroc). Travailler à l’ordi en plein air, sur ma terrasse en surplomb de paysages lointains ; faire la pause pour aller fendre quelques bûches ou pour une paire de brouettées de sol minéral destiné à aplanir sous l’abristophe ou pour aménager un bout de chemin ; puis revenir aux lectures ou aux rapports. Je me sentais complet : physique et mental !
L’épuisement et les tensions de la mission en pays berbère ont changé la donne. C’est une mauvaise crève qui a servi à somatiser et à m’arrêter dès mon retour. Les tentatives de m’y remettre débouchaient inévitablement sur des poignards dans mon crâne. Mais quand on se relie au monde on s’attache au boulet du calendrier. Il fallait ! Ce mercredi j’ai enfin réussi, après une nuit à me réconcilier avec mon rêve récent, à pondre les paragraphes manquants et à les envoyer à ma collègue.
C’est ainsi que je viens de vivre un jeudi de libération et de bonheur à l’état pur. J’ai fait du bois, rien que du bois… Bien sûr, ça pressait : on annonce de la pluie alors que huit jours de bon soleil ont tout séché et qu’il faut en profiter pour le rentrer. Mais ce n’est pas l’urgence sinon le plaisir qui m’a accompagné du matin au soir.
La première rangée du gros tas de hêtre était déjà sous abri depuis le début de la semaine. J’ai complété avec les deux tas de petit bois, celui des branches du gros sapin tombé il y a deux ans et celui des branchages de hêtre. J’ai même pu vider mon nouveau séchoir à écorces afin de préparer une nouvelle fournée.
Où est le plaisir là-dedans ? Dans la manière de faire. C’est dans le déplacement du bouleau nouveau qu’elle s’exprime le mieux. Il fallait libérer l’entrée du parking pour accueillir les affouages de l’automne ? Je ne me suis pas contenté d’un simple transport avec Caucase la chenillante : arrivé avec ma brouettée sur la fameuse terrasse de mes heures hors du temps, j’ai pris les morceaux un par un, je les ai brossés de leurs mousses et lichens, je les ai écorcés au mieux, je les ai bichonnés, oui, bien plus qu’il n’était besoin !
Après des semaines au monde, c’était le retour à la vie. Sans pression, au rythme que m’offraient mes énergies actuellement si basses et mes envies retrouvées, avec de belles pauses enfumées d’Astoria bolivien apportés par le breton de Sucre, et même une bonne sieste en hamac suite au bloody buron apéritif qui remplaçait le déjeuner. Pour finir en soirée sur quelques pages de Sylvain Tesson dans les forêts de Sibérie (un superbe cadeau d’une Lydie ressurgie) avant de rentrer au noir célébrer ce jour d’une dernière lampée de whisky breton complétée par celui de Jura, puis quelques grignotages pour justifier la digestion en dernière goulée de Zacapa avant le Philippe.
Evidemment, j’ai bien dormi. Même les appels de prostate ont été une réjouissance puisqu’un extraordinaire ciel étoilé sans lune illuminait mes assouvissements. 
Ce matin, le calendrier est revenu mais cet entracte a laissé des traces : après un si long silence j’ai été capable d’écrire ne serait-ce que ce petit billet. Aucun doute le bonheur est dans le bois !

Las Fayas, le vendredi 6 septembre 2013
Au matin, du bois, un clavier, un rêve

samedi 29 juin 2013

Etranges transes d'eaux

Il a bien fallu renfiler les habits d’hiver : la chaleur n’a guère duré ; la grisaille et le froid sont là. Non, je ne parle pas du buron, dont je suis pourtant les transes climatiques à distance, mais du Pérou qui m’accueille depuis maintenant près d’un mois.
Je suis à Lima, l’étrange capitale que les brumes côtières pôlarisent six mois par an et qu’une croissante voracité de consumérisme dévoie rapidement sous les hurlements d’un modernisme qui me semble pourtant bien rance. J’y suis revenu depuis mercredi soir. La chaleur, c’était avant, en Amazonie.
Plusieurs fois j’y ai essayé d’écrire ce billet et je ne pouvais pas, baigné que j’étais d’émotions diverses et vivifiantes au parfum de souvenance. Je me laissais porter par les flots de sensations douces de retours : retour sur mes propres pas, près de quarante ans après ; retour vers des lieux où subsistent encore quelques ilots de vie en nature. Je devais témoigner mais je ressentais toutes formes de registre, tant les notes que les photos et les enregistrements, comme une outrance perturbatrice. Je m’y astreignais quand même, un peu, guère.
Evidemment c’est le voyage vers le Haut Ucayali qui m’a le plus marqué. Treize heures de chaloupe pour remonter le fleuve à l’aller, neuf heures au retour, ça marque, surtout que ça me manquait. Il y a trop longtemps que je n’avais plus l’aise de voyager de cette manière sur les fleuves tropicaux ; cette fois je pouvais savourer la différence par rapport aux navigations plutôt touristiques des dix dernières années.
Le bruit du moteur annule toute tentative de conversation. Les rives trop éloignées ne retiennent pas le regard qui dérive sans s’accrocher. Les nuages bas et souvent noirs estompent les reflets de l’eau. On est seul avec toutes sortes de pensées et de sentiments inspirés par des images que l’on n’a même pas conscience d’avoir entraperçues. C’est dans tous les sens du terme que le fleuve vous emporte.
Par contre ce sont les trajets en pirogue sur les petits affluents qui m’ont le plus réjoui. Là, ce n’est plus l’immensité qui domine, c’est la profusion, la densité de vie dans les eaux, sur les eaux, sur les berges, dans la forêt que l’on devine et que l’on entend, dans les airs. Le coeur chavire sous le déferlement et oublie que la pirogue surchargée pourrait bien chavirer elle aussi. De toute façon les eaux sont basses à présent, on aurait pied, et on admire plutôt l’art du pilote et de son « pointeur » qui slaloment entre les sables et esquivent les palissades de troncs entremêlés.
J’avais pensé que mes émois seraient surtout tournés vers la forêt elle-même et vers les villages indiens que je devais rencontrer mais ce sont d’abord les eaux qui m’ont accaparé, m’offrant du temps un paysage apaisant, si éloigné de l’urgence ambiante dès que l’on réfléchit aux destructions galopantes et aux mirages du développement, si proche par contre de mon buron d’Auvergne où je prends le temps de vivre le temps.
C’est ainsi que, contre toute attente, je n’ai eu aucune nostalgie de mon buron. J’étais chez moi, dans la vie et hors du monde. J’étais.
A présent je suis à Lima et je regrette un peu de ne pas avoir mis quelques images en boîte pour vous les partager. J’aimerais également vous raconter quelques aventures car tout ne fut pas que contemplation. Mais je crains que cela ne submerge et n’enfouisse les relents de délectation qui m’enivrent encore.

Lima-Pérou, le samedi 29 juin 2013

mardi 30 avril 2013

Le printemps et l’ermite vont décoller


Pour commencer j’ai vraiment envie de partager cette photo de ce que j’ose appeler « la dernière neige », celle qui est tombée toute la journée d’hier samedi et que j’ai voulu enregistrer ce matin, lors du premier rayon de soleil. Bien sûr, on parle beaucoup en ce moment, ici, de « lune rousse » et de « saints de glace ». Le coup de froid de cette fin de semaine, après quelques belles journées printanières, est venu ramener mes enthousiasmes à la raison. Mais c’est parti, c’est l’envol du printemps.
Alors je l’ai vraiment prise comme un beau cadeau cette ultime chute de neige, à manière de souvenir pour mieux savourer les chaleurs dont nous rêvons tous, en rappel d’un hiver qui m’a fait savoir que j’ai encore beaucoup à apprendre, à comprendre et à aménager pour mieux vivre en Fayes.
Il n’y a pas que le printemps qui décolle. Moi aussi, très bientôt. C’est le Pérou qui m’attend, en juin. Hier j’ai reçu et approuvé le plan des vols. Bien sûr, ce n’est que dans cinq semaines mais déjà mon être et mes délires sont tournés vers les retrouvailles. Avec les amis, les paysages, les affects, la gastronomie, les gens en général. Avec le travail également, mais tout cela a toujours été tellement mélangé durant ma vie entière de voyageur que je ne sais plus guère les différences.
Le hic, car il y a évidemment un hic, c’est que je vais m’absenter du buron pendant un bon tronçon de ces peu de mois de l’année où il est possible de faire des travaux extérieurs sur mon terrain et ses alentours, pour recevoir les amis que mes hivers rebutent. Surtout que le Pérou n’est pas seul, le Maroc est également sur les rangs pour un éventuel petit séjour d’été.
Au début, l’idée de ces partances m’était difficilement supportable : il y a tant à faire ; le temps réduit augmente la pression ; les énergies s’épuisent lors des grands parcours et manquent donc au retour… A présent l’envie a pris le dessus et l’angoisse s’amenuise. J’ai opté pour savourer mon étrange privilège de sédentaire nomade qui peut s’ermiter en longue durée et s’envoler vers de courts et intenses périples au milieu des autres, suivant les priorités, les opportunités, sans trop de chaînes ni de besoins.
Tout est dans la tête. Enfin, dans la capacité de la mienne à tenir le choc au lieu de se surmener et de s’éteindre. Il faut que je la prépare. Car je me dis que l’idéal ce n’est pas de tout arrêter mais de pouvoir n’accepter que les décollages qui me passionnent. Eh oui, elle me passionne cette mission en Amazonie péruvienne où je vais retrouver des chantiers que j’ai en partie délaissés depuis près de quarante ans, avec les populations indigènes et métisses et leurs arts de vivre avec la forêt. Et cela me passionne d’aider les migrants marocains en France à cultiver les appris de leurs expériences en appui à leur terre d’origine.
Le pied, en fait, ce serait de n’avoir à voyager qu’en hiver ! De manière à laisser du temps au printemps au lieu de lui faire pression, qu’il puisse s’envoler sans hâte s’il le désire, qu’il puisse s’amuser à nous régaler d’une belle dernière neige en fin avril, comme hier quoi. Oh merde ça recommence : il neige !
Les Fayes, le dimanche 28 avril 2013


lundi 25 mars 2013

Des longueurs et langueurs d’hiver lent au Bloody Buron


La première semaine de mars m’offrit un chatoiement d’énergies, celles que l’on oublie en hivernage. Je commençais à fatiguer de mes lectures et des rythmes lents d’un temps en retrait. Et voilà que la neige fondait. Mieux encore le chant des oiseaux avait changé, il annonçait le printemps, j’avais pu me laisser ravir par deux vols nuptiaux dans le ciel. Les envies bondissaient. J’avançais gaillardement dans la liste des poubelles à descendre et des courses lourdes à remonter dès que Caucase, la brouette magique, pourrait passer.
Je m’étais décidé pour le lundi 11. Mais voilà que j’étais trop frustré de mes activités physiques en extérieur et j’ai pris prétexte d’une urgence de lune nouvelle pour me lancer à abattre des arbres afin de mieux dégager la voie de bas de pré. Demain !
Mais le lendemain le climat était radicalement retourné à l’hiver et, puisque lune nouvelle, ce ne serait pas que ponctuel mais tout un cycle ! J’avoue que j’ai déprimé. La longueur hivernale n’avait plus ses largesses d’ermitage mais engendrait plutôt une langueur étriquée. Il a fallu deux jours, et le retour en force de la neige, pour m’en remettre. Oui, le retour de la neige car elle offre ses vues et ses tâches. Par exemple : pour « voir » il faut creuser en face de portes et fenêtres et c’est là une tâche assez marrante…
L’absence de nouvelles de mon prochain voyage au Pérou n’était pas non plus pour me remonter le moral car tout mon programme de printemps dépendait autant du climat que de cette éventuelle mission. Mais que la montagne était belle devant ma porte !
Et puis j’avais l’occasion de consacrer trois ou quatre heures par jour à me préparer à un petit boulot en lien avec le Maroc. Eh oui, je me suis fait avoir : le thème et la méthode m’ont interpellé et je vais essayer de jouer le jeu en essayant de ne pas trop tutoyer mes limites.
C‘est ainsi que je suis resté trois semaines sans descendre en ville, même pas au hameau du Perrier. L’occasion de liquider tant de provisions faites à l’automne et de vérifier ma gestion des stocks. Or le vide ne se ressentait que pour les légumes frais et les apéros, ainsi que l’essence pour le groupe. Pour les premiers, il n’y a pas le choix : il faudrait descendre. Pour les seconds, qu’ils sont lourds à porter !
Je me suis donc juré d’être plus prévoyant l’année prochaine. Mais il ne s’agit pas que de tirer des leçons pour l’avenir : il faut être créatif. J’ai donc partiellement résolu les deux premiers déficits en instaurant une nouvelle sorte d’apéro, le Bloody Buron. A la base c’est le Bloody Mary sauf que l’on fait… avec ce que l’on a sous la main. Le premier conjuguait velouté de tomate, tabasco, sel, poivre et whisky. Mais je me suis dit que je pourrais essayer d’autres veloutés…
Et voilà comment, le jeudi 21, jour du printemps, j’ai émergé pour aller à Ambert faire quelques courses essentielles au marché et d’autres très bloodyesques, du style vrai jus de tomate, vodka, sel de céleri, sauce worcester… Dans l’urgence, pas besoin d’autres légumes, un Bloody Buron ça m’offre déjà de la tomate, du céleri et du piment ! Si j’ajoute le jus d’orange au matin, le jus de raisin du vin et la prune du Philippe au soir, j’ai bien plus que les cinq et je suis dans la morne norme.
Le pied ! D’ailleurs la fête fut complète. Profitant de la présence du Christophe, mon guide ès ambertises, j’ai même découvert cette « cantine » bimensuelle dont j’entendais parler depuis plus de dix ans. Quelle bombance ! Et plein de légumes. A présent le printemps arrive, j’espère que les pissenlits seront à la hauteur.
Les Fayes, le dimanche 24 mars 2013

mardi 26 février 2013

D’ébats de neige


Cet hiver est plus neigeux que mes deux précédents. Ce qui n’est pas pour me déplaire car c’est une nouvelle dimension qu’il me faut apprentir. D’autant plus que j’avais brusquement décidé de mettre l’enfermement à profit pour des travaux à l’étage et qu’il n’y avait plus d’accès voituré pour monter les matériaux. C’était l’occasion d’éprouver les capacités de la brouette magique. En janvier deux chargements avaient réussi à grimper en plein redoux.
En ce début février nous avions besoin d’un nouvel apport. Mais point de vrai redoux. L’homme de l’abristophe m’aida et c’est un téméraire. Contre toute attente il triompha, seul et avec grand panache. De nouveaux horizons chenillants s’ouvraient devant moi. Ce qui me convertit à l’audace. Le mercredi 6, alors que commençait un autre épisode neigeux et dans un froid glacial, nous nous lançâmes ensemble à l’abordage.


Ces photos ne représentent que la partie du bas, proche du hameau du Perrier. Par la suite, plus de temps pour enregistrer des images : le photographe passait devant pour nettoyer les congères et moi je poussais la magibrouette. Une heure et demie pour les huit cent mètres ! Mais… nous sommes arrivés et la panne sèche n’intervint qu’à quatre mètres du but. Il faisait si froid que l’appareil photo refusa de graver ce souvenir glorieux.
Je devais partir en Champagne le vendredi 8. Mais le jeudi 7 au matin, ma porte d’entrée m’avertit gentiment : c’est maintenant ou jamais !

Alors, à bientôt buron…

De loin, pendant dix jours, j’ai suivi l’évolution des neiges sur mon versant : près d’un mètre s’était accumulé ; le retour s’annonçait folklorique. J’ai donc préféré voyager de nuit pour pouvoir, au petit matin, affronter la réalité. Je me suis seulement chargé de ce minimum qui ne pourrait survivre dans la voiture aux glaces d’une ou deux éventuelles nuits : je savais qu’il me faudrait pelleter avant de pouvoir atteindre et ouvrir ma porte.
J’ai effectivement beaucoup pelleté, mais… de la neige s’était introduite dans les interstices, avait gelé et faisait pression sur le panneau. Impossible de débloquer, il fallait tirer pour que la clé fonctionne : la poignée m’est restée dans la main. J’ai donc eu recours à l’entrée de secours.
Puis j’ai repris la pelle. Après un séjour éprouvant en Champagne (la vie d’ermite n’est pas un bon entraînement au stress) il me fallait défouler. Donc de l’exercice.
Eh oui, ma terrasse favorite est à présent un creux au milieu de remparts de neige.

Mais quel réconfort qu’un apéro avec ce paysage !

Le vendredi 22 la neige recommençait, j’ai fait une nouvelle expérience. Au lieu de sortir faire la trace, les traces, je me suis installé auprès du feu avec un roman de 2500 pages, sans même mettre le nez dehors. Mais aujourd’hui je sais que la cure prend fin : la neige va cesser ce soir et, si je ne déblaie pas, bientôt mes fenêtres seront complètement obstruées.


De plus, demain il me faudra sortir et monter au cyberjojo (il remplace l’ancien cyberburon à présent envahi d’ondes malfaisantes) pour poster ce billet sur mes ébats et débats de neige. Mais ça ce sera une autre aventure…
Les Fayes, le lundi 25 février 2013

jeudi 31 janvier 2013

De l’exil en France au quotidien avec des français


En cette fin 2012 j’ai réveillonné ! A la salle des fêtes de Valcivières que les amis avaient réservée pour partager le moment. Oh, ce n’était pas tant la festivité qui m’intéressait (quand on ne sait pas danser à vingt ans, on n’a plus guère d’illusions en la matière) mais l’opportunité de rencontrer tant de voisins que je croise éventuellement mais que je ne connais pas vraiment.
Première surprise : j’y ai pris mon pied et je suis resté jusqu’à trois heures du matin ! Deuxième surprise, quelques jours plus tard j’ai commencé à prendre conscience d’un fait essentiel : je vis avec des français !!! Et c’est la première fois depuis beaucoup plus de quarante ans.
Depuis qu’après mon premier séjour sud-américain de quelques mois j’avais découvert que je ne pouvais pas être à cheval sur les deux continents, qu’il me fallait choisir entre l’Europe et l’Amérique Latine, donc qu’il me fallait m’amputer d’une partie de moi-même pour mieux vivre celle qui me resterait. J’avais opté pour cette terre lointaine qui correspondait mieux à mes valeurs et à mes rêves.
Lors de quelques retours temporaires forcés par les contextes politiques et même lors de la réinstallation définitive de la famille en France, je ne partageais guère la vie française ; bien sûr j’avais des amis et de la parentèle que j’aimais côtoyer ; mais sinon je me sentais comme en terre d’exil, j’y « séjournais » le moins possible et je continuais à travailler et savourer en Amérique Latine.
Puis Les Fayes m’ont ravi à l’Amérique Latine, elles m’ont rapatrié. C’est le paysage naturel et historique qui m’avait charmé et au cours de ces deux dernières années j’ai senti que peu à peu je cessais d’y être « visiteur » pour m’incorporer à ce paysage, en faire partie. Et voilà qu’à présent c’est Valcivières qui me conquiert, c’est son paysage social qui me captive et m’appelle à m’intégrer. Pourquoi ? Je crois que ce sont surtout deux éléments : la diversité de peuplement et une ambiance.
La diversité des origines et des âges est assez exceptionnelle : la souche auvergnate s’est enrichie depuis cinquante ans, lorsque les jeunes émigrèrent et les terres furent abandonnées ou ensapinées, avec l’apport de groupes séduits soit par le paysage naturel et traditionnel, soit par les prix des maisons, entre les moins chères de France alors, soit par les deux. Résidences secondaires ou burons, rescapés des communautés néo-rurales des années soixante-dix, retraités de retour à leurs sources ou installés près de leur ancien lieu de travail, et aujourd’hui de plus en plus de jeunes couples avec enfants… Tout cela préservé par l’isolement et les rigueurs du relief et du climat.
En même temps, portée surtout par les pionniers des anciennes communautés néo-rurales, l’ambiance diffère radicalement des insipides coins à touristes, des étouffantes « colonies » étrangères ou secondaires, des réserves sectaires : ici, sauf exceptions, on ne cherche pas à faire fortune mais on cultive la vie, culturelle, économique, solidaire, on apprécie la qualité de vie dans une certaine frugalité.
Je m’étais amputé autrefois ? A présent je me répute ! Car ce n’est plus choisir. Rien ne me quittera jamais l’Amérique Latine, j’y rajoute la France.
Neige légère: splendeur debout
Neige lourde et collante: à genoux!
Couchant sur brume: couleurs
Sans brume: voisinages
Vous comprendrez donc que je me sente à l’aise aux Fayes, à Valcivières, dans l’ensemble de cette contrée, que je me laisse amadouer, que j’en arrive à apprécier un quotidien avec des français, que je ne sois plus en exil. Vous comprendrez aussi que les plus belles images pour décrire ce paysage social et accompagner ce billet, ce soient celles… du paysage naturel en hiver, sa diversité, ses acrobaties et ses gemmes de couleur sous la neige…
Le lundi 28 décembre 2013 aux Fayes