Le bonheur est bien variable au buron… Ces derniers mois
j’avais vécu des moments inoubliables en préparant ou ressourçant les voyages
lointains (Pérou puis Maroc). Travailler à l’ordi en plein air, sur ma terrasse
en surplomb de paysages lointains ; faire la pause pour aller fendre
quelques bûches ou pour une paire de brouettées de sol minéral destiné à
aplanir sous l’abristophe ou pour aménager un bout de chemin ; puis
revenir aux lectures ou aux rapports. Je me sentais complet : physique et
mental !
L’épuisement et les tensions de la mission en pays
berbère ont changé la donne. C’est une mauvaise crève qui a servi à somatiser
et à m’arrêter dès mon retour. Les tentatives de m’y remettre débouchaient
inévitablement sur des poignards dans mon crâne. Mais quand on se relie au
monde on s’attache au boulet du calendrier. Il fallait ! Ce mercredi j’ai
enfin réussi, après une nuit à me réconcilier avec mon rêve récent, à pondre
les paragraphes manquants et à les envoyer à ma collègue.
C’est ainsi que je viens de vivre un jeudi de libération
et de bonheur à l’état pur. J’ai fait du bois, rien que du bois… Bien sûr, ça
pressait : on annonce de la pluie alors que huit jours de bon soleil ont
tout séché et qu’il faut en profiter pour le rentrer. Mais ce n’est pas
l’urgence sinon le plaisir qui m’a accompagné du matin au soir.
La première rangée du gros tas de hêtre était déjà sous
abri depuis le début de la semaine. J’ai complété avec les deux tas de petit
bois, celui des branches du gros sapin tombé il y a deux ans et celui des
branchages de hêtre. J’ai même pu vider mon nouveau séchoir à écorces afin de
préparer une nouvelle fournée.
Où est le plaisir là-dedans ? Dans la manière de
faire. C’est dans le déplacement du bouleau nouveau qu’elle s’exprime le mieux.
Il fallait libérer l’entrée du parking pour accueillir les affouages de
l’automne ? Je ne me suis pas contenté d’un simple transport avec Caucase
la chenillante : arrivé avec ma brouettée sur la fameuse terrasse de mes
heures hors du temps, j’ai pris les morceaux un par un, je les ai brossés de
leurs mousses et lichens, je les ai écorcés au mieux, je les ai bichonnés, oui,
bien plus qu’il n’était besoin !
Après des semaines au monde, c’était le retour à la vie.
Sans pression, au rythme que m’offraient mes énergies actuellement si basses et
mes envies retrouvées, avec de belles pauses enfumées d’Astoria bolivien
apportés par le breton de Sucre, et même une bonne sieste en hamac suite au
bloody buron apéritif qui remplaçait le déjeuner. Pour finir en soirée sur
quelques pages de Sylvain Tesson dans les forêts de Sibérie (un superbe cadeau
d’une Lydie ressurgie) avant de rentrer au noir célébrer ce jour d’une dernière
lampée de whisky breton complétée par celui de Jura, puis quelques grignotages
pour justifier la digestion en dernière goulée de Zacapa avant le Philippe.
Evidemment, j’ai bien dormi. Même les appels de prostate
ont été une réjouissance puisqu’un extraordinaire ciel étoilé sans lune
illuminait mes assouvissements.
Ce matin, le calendrier est revenu mais cet entracte a
laissé des traces : après un si long silence j’ai été capable d’écrire ne
serait-ce que ce petit billet. Aucun doute le bonheur est dans le bois !