Le facteur, cette fois-ci, c’est Jean-Marc Pineau, un
marcheur-conteur qui a entrepris de visiter, en cinquante-et-un jours et à
pied, toutes les communes qui forment le Parc Naturel Régional du
Livradois-Forez auquel j’appartiens (http://www.parc-livradois-forez.org/Mon-voyage-en-Livradois-Forez.html). Il était à Valcivières ce mardi premier du
mois et, puisque son propos est de rencontrer les habitants et de partager avec
eux une veillée culturelle, je me suis retrouvé avec « un
programme » : participer à la soirée prévue au col des Supeyres, dans
le chalet des Gentianes.
Facteur ? Jean-Marc n’a guère eu l’air enchanté de
mon interprétation sur son rôle dans cette affaire. Lui préfère s’inscrire dans
la lignée des « écrivains-voyageurs ». Et j’avoue que j’avais un peu
forcé. J’avoue. J’étais parti dans mes rêves et mes délires : son trajet
zigzaguant pour n’oublier personne me faisait penser à ces
« lettrés-voyageurs » d’antan, les facteurs à pied qui, chaque jour,
avec les courriers, les mandats et les nouvelles dans leurs sacoches et dans
leurs têtes, parcouraient tout le territoire à la recherche des présents.
Pourtant, en moi, c’était un compliment que je lui
faisais : Hommage à celui qui fait ce qui doit être fait ! Hommage au
précurseur ! Car c’est tellement frustrant de se dire : j’appartiens
à cette commune de Valcivières et je n’en connais pas le dixième des villages ;
j’appartiens au Livradois-Forez et je n’en connais pas le dixième des communes…
Bien sûr, je pourrais prendre ma voiture (actuellement, à
pied, c’est dur ; je ne suis plus dans la marche mais dans la démarche) et
faire systématiquement le tour de ces deux territoires, la commune et le
Parc ; mais pour moi, connaître c’est rencontrer les gens, les écouter,
les voir dans leur contexte, échanger. Faire le touriste et contempler des
paysages, faire l’enquêteur et poser des questions à des élus des fonctionnaires,
des locaux, ce n’est pas connaître !
C’est ainsi que je voyais Jean-Marc en facteur de
rencontres et d´échanges, en catalyseur des paroles et des vécus, en tisseur de
lien, en précurseur d’activités à venir, en pionnier d’une autre circulation des
gens, des idées, des produits, des rêves au sein de ces territoires.
Bon, c’est vrai, je suis déformé. Quarante de travail sur
le développement rural m’ont amené à croire que cette circulation-là est une
des premières bases pour pouvoir construire un « nous » qui
garantisse le sens et la durée de tout ce que l’on veut bien entreprendre
ensemble. Et j’en suis convaincu ! Nos meilleurs résultats en Amérique
Latine sont venus en cultivant cette circulation, cette connaissance mutuelle.
Car si la méfiance est souvent le point de départ de toutes réactions, dans la
rencontre sur place naît la confiance, surgissent les complémentarités, les
envies, les actions.
Mardi soir, je suis rentré tout stimulé à mon buron. Trop
stimulé. Il m’a fallu attendre deux heures du matin pour que s’écoulent tous
mes délires et que je puisse me coucher ! J’imaginais chaque village (ou
groupe de villages) de Valcivières recevant tour à tour les habitants de la
commune. Je rêvais de nouveaux « tours du Livradois-Forez » organisés
chaque année par des habitants-marcheurs se relayant sur les chemins pour
cultiver le lien. Je délirais de changeants jumelages à l’année entre communes
du Parc pour se connaitre et se comprendre. Je divaguais sur les
administrations apprenant qu’elles ont là, à l’écoute des gens et de leurs
échanges entre eux, de bien meilleures pistes que leurs
« consultations » et soutenant le mouvement, instaurant un prix aux
meilleurs rendus de ces jumelages, en images, sons, textes ou autres, afin de
s’en alimenter.
Je vous l’ai dit : je délirais. Qu’est-ce que
c’était bon… et usant ! Merci Jean-Marc.
Las Fayas (Le Perrier), le samedi 5 avril 2014