Le solstice d’été m’avait comblé d’émotions très spéciales :
au soir du 21 juin s’était ouverte la première fleur plantée ici par
moi-même ; au soir du 22 j’avais croqué les deux premiers radis de mon
pour l’instant mini-potager. Un superbe aboutissement pour un printemps
nouvellement botanique de ma part.
L’envie existait bien sûr depuis mon installation, mais…
l‘aménagement du relief et des espaces était prioritaire, sinon où planter, où
semer ? Et puis je ressentais le besoin de mieux connaître mon milieu
avant d’apporter des modifications à sa flore. Pourtant, transformer
l’information en connaissance requiert quelque mémoire. J’avais oublié les
couleurs des printemps précédents et, lorsque commençait le renouveau de la
végétation, j’avais quelque frustration de couleurs : du vert, du jaune,
du blanc mais peu de rouge, de bleu, de... C’est là que je m’étais motivé à
introduire quelques vivaces pour leurs fleurs.
Bon, quelques semaines après mes acquisitions de plants
et de graines, j’aurais dû me cacher tant j’avais honte : les abords de la
maison resplendissaient d’un tapis multicolore et absolument naturel ! Mes
talus, si désespérément minéraux après le passage de la minipelle il y a deux
ans et que j’avais alors revégétalisés par des carreaux de terre et d’herbes
prélevés à l’entour, étaient un hymne à la diversité, de couleurs, d’espèces,
de formes, de musique d’insectes…
Fin juin, l’été donc. Et un apprentissage de plus :
l’art de l’hibernation estivale ! Cinq cent millimètres d’eau sont tombés
en un mois, entre quelques beaux déluges orageux et une symphonie d’averses et
de bruines. Mais les écoulements fonctionnaient. Mais l’air restait chaud. Mais
les innombrables éclaircies offraient leurs sorties, leurs travaux. Mais je
m’étais préparé.
C’est par dérision que j’avais sorti ma collection de
science-fiction d’Asimov ? J’ai eu le temps de tout relire peu à peu,
tranquillement, jouissamment ; puis, stimulé par cette plongée dans la
science et ses devenirs futurs, je suis remonté au Big Bang et à l’évolution
des théories sur les origines de l’univers ; puis… les visiteurs habituels
de la saison et les activités des prés, chemins et bois m’ont bien occupé
dehors ; puis l’été indien est survenu avec la fin août.
Alors, ce long silence ? Non, je ne suis pas mort,
pas encore. Non, je n’ai pas abandonné mon ermitage. Non, ce n’était pas le
mauvais signal de déboires quelconques. Simplement j’étais trop plein de cette
aventure des saisons qui toujours nous surprennent et qui, quand on n’a plus
d’urgences, très souvent nous ravissent. J’étais en mode
« réception » et, désolé, je n’étais pas capable de partager en mots
de clavier, sans l’appui d’une présence, d’un regard, d’un ricanement muet ou
sonore, d’un café ou apéro pour huiler le nous.
Au début je pensais que c’était un peu la frustration de
ne pas savoir rendre en photos l’émerveillement de mes yeux, de mes pores, de
mon cœur, ou bien la conséquence d’un vocabulaire en voie d’appauvrissement
dans mes deux langues (j’en perds beaucoup en espagnol ; j’oublie vite
celui de je découvre ou redécouvre en français).
Mais non, ce n’était sans doute que le fruit de mon
nouvel état de retraité à plein temps et de mon enracinement qui
s’approfondit : tout mon trop plein d’émois apprend à s’écouler dans le
silence et l’harmonie de ces lieux. Cependant, promis, je vais essayer de
maintenir ouvert le déversoir de ce blog. Il a son charme et ses arômes, même
si je le délaisse quelquefois. Il a son utilité pour mieux conserver, dans
l’ici et maintenant du buron, un goût de nous grand et vital.
Las Fayas d’au dessus du Perrier, Valcivières, le mardi 9 septembre 2014