dimanche 18 octobre 2015

Le vacarme des feuilles mortes

Première neige ce matin. Des sentiments mêlés. La joie de retrouver cette luminosité particulière quand la blancheur extérieure irradie mes intérieurs, même sous les brumes. La tranquillité d’avoir, ces deux derniers jours, multiplié les allers en ville pour m’approvisionner d’hiver. L’émoi des spots à led et piles qu’hier j’ai commencé à poser un peu partout et qui éclairent à présent mon coin cuisine, ma chambre et divers autres points de la grange ; j’ai même de la lumière au dessus du lavabo, donc un miroir utilisable, et je pourrai me raser, peut-être…
Mais aussi l’angoisse de ma brouette magique en panne chez un voisin et que, seul, je ne peux ni réparer ni transporter. Le retard à remplir l’abristophe en bois de chauffage, surtout le fayard trop éloigné pour le transporter à la main. Le doute sur la durée de ce coup de froid : débuté en nouvelle lune, tiendra-t-il un demi-tour de satellite ou s’effilochera-t-il très bientôt ; puisque plusieurs jeunes doivent venir demain en stop depuis le sud, il me faudra aller les chercher quelque part ; tout à l’heure j’ai eu bien du mal à remonter le Duster pour le conduire sur le plat de la voie forestière.
Surtout, ces gelées précoces ont accéléré la chute des feuilles, les arbres se sont bien déplumés et le plus beau de l’automne vient probablement de s’envoler. Nous étions pourtant à l’un de ces moments, brefs mais intenses, les plus féériques de l’année. Au sol la guerre des roux faisait rage entre myrtilles, repousses de sorbiers et certains champignons. Au-dessus, les ramures lançaient leurs éclats de couleurs si variées selon les essences, si changeantes de jour en jour. Ah, la splendeur écarlate des merisiers, l’or doux des érables, l’or brun des fayards, la mosaïque aérienne des bouleaux !
Les heures les plus émouvantes étaient celles de fin d’après-midi quand le soleil dardait des rayons presque horizontaux qui exaltaient la végétation. Grâce à mes élagages je pouvais mieux contempler ce ballet chatoyant, un peu comme un mirage qui scintille entre terre et ciel et embaume les sens.
D’ailleurs je crois bien que ce spectacle a été ma principale thérapie pour retrouver mon être et mon énergie vitale lorsque je suis rentré d’une quinzaine en tournée de familles entre Normandie et Champagne : j’arrivais mal à rétablir l’harmonie avec la montagne… jusqu’à ce que je m’abandonne aux ébats de l’automne et de ses coloris. On dit que la thérapie chromatique ça existe !
Alors, aujourd’hui, j’essaie de me remémorer quand elle a vraiment commencé cette fête d’après l’été. J’ai un indice à retrouver : quand la chute des premières grosses feuilles d’érable m’a-t-elle fait sursauter, me retourner vivement en croyant que quelque homme ou animal approchait dans mon dos ? Car ce n’est qu’au début, ensuite on s’habitue à ce bruit.
Je ne me souviens pas précisément mais peu importe ; me voici ramené deux ans en arrière. Je commentais ces sursauts à mon voisin Jean-Baptiste et il a eu alors cette exclamation mi-railleuse, mi-poétique : « Le vacarme des feuilles mortes ! » Elle m’est restée car elle me donnait un repère pour comprendre que l’automne avait démarré et surtout parce qu’elle m’offrait une image simple et très expressive pour décrire la vie ici.
Dans ce « vacarme des feuilles mortes » tout est dit sur l’habituelle quiétude sonore de ces lieux, sur les partages de nature en ce versant montagneux diversifié, sur la paix active des jours et des heures entre les foules d’êtres multiples qui l’habitent, également sur la densité accrue des perceptions lorsqu’un soubresaut éclate et souligne ou perturbe les jeux de sérénité.

Las Fayas de Valcivières, le jeudi 15 octobre 2015

jeudi 20 août 2015

L'hibernation thérapeutique de l'estropied

Entorse ? Foulure ? Le dernier billet, écrit à chaud après mon incident de « cheville », est un bon reflet de ce que peut produire l’ignorance. Par exemple, il m’a fallu attendre beaucoup plus d’un mois avant de pouvoir le poster sur le blog ce billet hâtif : la supposée foulure était en fait bien plus que cela et m’a tenu immobilisé ici depuis lors ; j’avais la patte rac.
C’est mon voisin Jean-Baptiste qui m’a fait déchanter. A peine quelques petites manipulations et il m’annonçait déjà une probable fracture du péroné. C’est normal, il est médecin. Mais moi je suis moi et j’ai quand même préféré offrir du temps au repos pour voir s’il suffisait. Gros œdème aidant, j’ai finalement rendu les armes, accepté une radio, puis un plâtre, puis l’hibernation thérapeutique… Un comble en ce mois de juillet toujours très beau et parfois caniculaire !
Pourtant j’ai assez bien tenu le choc. D’abord l’hibernation je connais ; j’avais même apprenti l’hibernation estivale l’an dernier quand juillet s’était noyé sous 300 millimètres de pluie ; il suffit de se mettre en transe du hors-temps, comme lors de mes interminables voyages intercontinentaux dans des avions et aéroports non fumeurs, de se fournir en provisions, lectures et méditations diverses, de s’abandonner à d’autres disciplines et de ne point trop compter les heures et les jours.
Et puis le printemps avait été long et favorable ; en quatre mois j’avais fait bien plus que d’autres années ; la frustration de l’inactivité en était amoindrie ; même l’extrême sécheresse jouait en ma faveur, freinant l’invasion végétale de mes espaces favoris ; on attend mieux quand les travaux eux-mêmes savent attendre.
Enfin ces semaines ont été l’occasion de savourer avec une rare intensité l’un des deux principaux charmes, avec la nature et ses paysages, de mon versant de montagne : l’ambiance chaleureuse et fraternelle d’un voisinage discrètement solidaire, disponible sans faire pression, sans supplanter ni étaler. Le rêve pour quelqu’un comme moi qui aspire à l’autonomie tout en appréciant l’interdépendance et ses partages.
Il y a là toute une culture locale qui s’est nourrie aux usages d’entraide et réciprocité sans lesquels les anciens paysans n’auraient pu survivre en ces lieux, aux idéaux communautaires ou associatifs de divers groupes de nouveaux résidents installés progressivement ici au cours des cinquante dernières années, au tissu d’échanges et réjouissances qui relie les générations successives d’occupants des burons en Chaumettes et Fayes. Bien sûr il y a des exceptions. Ainsi, à quelques centaines de mètres à peine, des arrivants avides de pouvoir et d’argent ont préféré des relations à base de domination, de chantage procédordurier et de violence : ils n’ont plus guère à qui parler et pourrissent dans leur coin en cultivant leurs primes agricoles et leur haine esseulante.
Bon, n’idéalisons pas non plus cette hibernation thérapeutique. La semaine dernière, c’était devenu de plus en plus dur, de plus en plus raslebolique. Mais depuis vendredi je peux appuyer le pied et rejoindre la vie active. Trois jours à fendre du bois en équipe et une journée de débroussaillage de mes alentours immédiats viennent donc de me ressourcer, de me régénérer, de me rendre le sommeil en fatigue physique et l’apéro en pause délassante (je dormais bien et je buvais bien, mais ce n’était pas la même chose !).
Il reste de cette expérience la conviction que, si j’ai pu vivre ici en béquilles, je devrais pouvoir le faire aussi, le jour venu, en fauteuil roulant. Allez, j’ai encore quelques aménagements à réaliser pour cela ; je peux le faire, même avec mon estropied : j’y vais de ce pas déhanchant.
Les Fayes de Valcivières, le mardi 18 août 2015

vendredi 7 août 2015

Une pause en cheville avec le temps

J’en avais marre : depuis des mois je ne savais que répondre à ceux qui, en visite ou au téléphone, me demandaient comment ça va. Les « Bien », « Très bien » ne font rêver personne. Il n’y a rien à raconter quand le moral, le physique, l’intellect déroulent en douceur des quotidiens savoureux. A quoi bon importuner avec le récit de tous ces petits rien qui émerveillent le cœur et nourrissent l’âme ! Et mes découvertes grandioses ne le sont que pour moi qui débute dans ce style de vie mais sans le charme d’un vrai débutant.
Alors, hier matin, j’ai pris le taureau par les cornes et je me suis pété la cheville. Oh, rien de grave, une foulure ou bien une déchirure, des choses qui se soignent surtout avec du repos. Encore que je pourrais monter ça en épingle pour un petit récit héroïque de grand invalide perdu dans sa montagne. Mais j’aurai l’air de quoi quand bientôt je trotterai à nouveau ?
Et puis ça a quand même du bon : c’est la pause ; pour presque tout. Par exemple, hier je me suis offert un congé pour mon état actuel d’herbivore. Presque deux mois qu’avec le démarrage de mes essais de potager je me nourris essentiellement de plantes ; en commençant par les feuilles des premiers radis à éclaircir, en continuant avec les laitues, les cressons, les blettes, agrémentées de persil, de coriandre, de ciboulette, de basilic, de menthe. Rien de bien extraordinaire mais j’étais sous le charme et je me disais que je devenais français (dans bien des pays d’Amérique Latine on m’affirmait que les français sont des lapins car ils mangent énormément d’herbe). Hier donc, mes verdures étant inaccessibles, j’ai eu le grand plaisir de revenir à mes diverses boîtes de conserves. Que c’est bon la pause !
De même, voilà à présent plus de vingt-quatre heures que je n’ai pas mis les pieds dehors alors que, depuis les journées enchanteresses du pré-printemps de mars je n’avais jamais cessé de circuler dans mon pré et dans les environs, de m’y activer ou de m’y poser successivement dans chacun des petits recoins accueillants qui s’offrent à moi et qui se multiplient d’année en année. Rester en intérieurs ? Le strict nécessaire. Ou bien parfois, lorsqu’il avait absolument fallu aller en ville, pour débloquer la tension en jouant quelques heures aux cartes sur l’ordi avant de ressortir rétablir l’harmonie.
La nature, les paysages, les ambiances sont si captivantes que même les journées où je me levais avec la ferme intention de glander et ne « rien faire » se déroutaient dès que je sortais pour un petit tour : il suffisait d’un « rien » pour commencer à « faire »… Hier je n’ai rien fait sinon reposer ma cheville !
Et ce matin, si comme souvent je me suis éveillé avec l’envie d’écrire quelques lignes, voilà que non seulement j’ai l’envie mais aussi la disponibilité. Tant que je n’aurai pas de béquilles je ne pourrai pas aller contempler l’impressionnant assèchement des sources, ni vérifier l’évolution des aménagements en cours, ni écouter pousser les plantes, ni… Donc j’ai du temps alors que d’ordinaire c’est plutôt le temps qui m’a, et qui me séduit par ses langueurs et ses ardeurs.
Le temps ! « Temps libre » dit-on. Mais libre de quoi ? En fait, ici le temps m’a libéré de moi, de mes obligations, de mes obsessions, de mes passions, il m’a libéré de ma voracité et m’a invité à vivre. Ma cheville me rend à d’autres envies ? Profitons-en, ça aussi c’est un plaisir, le plaisir de rencontrer brièvement le vieil homme que j’étais, de le saluer, de partager un peu avec lui. Car il ne faut pas l’oublier : j’aurai encore des hibernations à passer en sa compagnie.

Las Fayas de Valcivières, le jeudi 2 juillet 2015

vendredi 3 avril 2015

Jours de pré-printemps sans voracité

Hier midi, héroïque, j’ai mis ma cape de pluie et je suis allé jusqu’au Perrier, où est garée ma voiture en fin de bitume, vérifier l’état des chemins par lesquels je pourrais passer avec Caucase, ma brouette magique à moteur et à chenilles, afin de descendre les poubelles de l’hiver et de m’offrir une grosse remontée de provisions et surtout de lessives. Ça m’a semblé jouable même si le gros canard au-dessus de la sapinière est encore difficilement franchissable : il reste trop de neige durcie pour bien accrocher mes transports. Le ciel étant annoncé comme devant se dégager à partir de lundi soir, je me suis motivé pour un programme de sorties.
Ce matin, après une nuit de grand vent et saucées persistantes, voilà que les prévisions météo ont changé : de l’eau en flocons ou en gouttes jusqu’à la fin de la semaine ! Donc retour aux sessions d’intérieurs.
Je ne suis pas surpris mais en même temps je m’étonne de mon manque de frustration, de cette acceptation paisible. Il y a deux ans, quand l’hiver s’attardait, multipliait ses rebondissements, la lassitude m’avait gagné, quelques ondes de déprime m’avaient assailli. Alors que cette fois je m’attendris presque devant cette si parcimonieuse éclosion du printemps, ces alternances ; je découvre qu’il existe une autre saison, le pré-printemps, un transit au ralenti où chaque jour apporte un nouveau signe, pas comme l’explosion soudaine de certaines contrées, de certaines années.
Je ne suis pas surpris car je sais que c’est en moi qu’il se situe le changement : j’ai avancé un peu plus sur deux voies parallèles et complémentaires de l’ermitage heureux, réserves et dépouillement. Des réserves suffisantes en nourriture et chauffage pour assurer la survie et ne pas subir la hantise d’une plongée au monde aux fins d’approvisionnement. Le dépouillement de toutes urgences obsédantes, toutes ces envies de faire, d’avoir, de consommer, de rencontrer, de léguer.
L’hibernation bien vécue m’y a beaucoup aidé. Je m’y suis régénéré. Même intellectuellement et il y a longtemps que je n’avais ressenti une telle curiosité sans pressions : c’est avant tout dans mes encyclopédies que se sont plongées mes lectures et je ne les avais jamais autant parcourues, sautant d’un sujet à l’autre, d’un tome à l’autre, ou cheminant dans l’ordre alphabétique…
Alors, pré-printemps ? Oui puisqu’il ne s’agit pas d’une absence mais d’une question de rythme, de lenteur. Ainsi, mes nettoyages de printemps sont commencés depuis un mois et je n’ai guère besoin de les presser. Arbres cassés, déracinés, trop inclinés ? Ils sont légion en chemins et en champs. Dans les terrains communaux à myrtilles j’ai débuté en raquettes de neige pour abattre et débiter et j’aurai le temps de déblayer branches et branchages avant l’amorce des fleurs. Sur les voies qu’encombrent tant de têtes de sapins, les encore rares promeneurs feront des détours ou attendront que ma brouette puisse y porter les outils pour tronçonner et débarrasser.
Nul jardinage n’a encore démarré mais le lent recul de l’enneigement offre des regards différents, propose des sites impensés où disperser les graines récoltées à l’automne, suggère des emplacements où enraciner les fruitiers qui mûriront en années futures de climat réchauffé, exhibe des inconnues qui mériteraient d’être transplantées.
En fait, ce qu’il me fallait pour être capable d’apprécier ces jours de pré-printemps c’était de désapprendre la voracité, cette voracité de vivre en avoirs, savoirs ou pouvoirs qui altère les êtres et les devenirs. Sans voracité printanière, qu’il est doux ce pré-printemps de sensations et activités sans cesse renouvelées, sans cesse déboussolées, sans cesse recentrées par un présent qui s’illumine en rêves et en béatitudes.

Le lundi 30 mars 2015

mercredi 4 mars 2015

Mon bouleau Révérence

C’est fini. Hier encore je le montrais à mes hôtes nantais, prosterné vers ma porte-fenêtre du nord. Avec les pluies d’hier et de la nuit, ce matin il s’est redressé et ne me gratifie plus que d’un vague salut. Il approche le temps où la sève s’éveillera, où les feuilles bourgeonneront puis étaleront leurs plumets, où sur ses ramures prolifèreront insectes et chenilles, attirant les oiseaux, où l’activité bouleversera l’intimité. Lui, il commence à s’y préparer.
Déjà une certaine nostalgie m’imprègne doucement. Je sens que bientôt, lorsqu’au lever j’ouvrirai mes volets intérieurs, j’oublierai de le chercher des yeux pour l’honorer. Il se confondra dans la masse boisée et sans la révérence il perdra son évidence. D’autres compagnies déshibernées solliciteront mes sens et mes attentions.
Cependant je sais que le lien que nous avons tissé cet hiver-ci est plus fort et durable qu’autrefois, très différent même car j’ai accueilli sa requête qu’avant je n’entendais pas vraiment et j’ai ressenti ce qu’il m’offrait si je le laissais vivre, une amitié à la fois paisible et festive.
Les bouleaux révérence foisonnent dans mon entourage, surtout cette année où une neige lourde a ployé bien des têtes jusqu’au sol puis, en gelant, les a bloquées dans son piège. A tel point que je circulais le sécateur à la main afin de pouvoir rouvrir un passage dans les barricades qu’elles dressaient sur toute la largeur des voies principales.
Par sa proximité et son orientation respectueuse, celui-ci m’amusait spécialement. Mais il était condamné. Poussé dans le bas du grand champ communal qu’arbustes et arbres ont reconquis progressivement depuis que les chèvres n’y broutent plus et que, bon an mal an, j’essaie d’éclaircir afin que la lumière féconde et mûrisse les myrtilles, il était sur la liste de mes élagages et abattages à venir : trop incliné pour les quêtes d’ensoleillement et trop proche du chemin pour que ses racines ne risquent de disjoindre l’empierrement.
A présent il est sauvé, de moi du moins. Je puis témoigner que ses plongeons ne cherchent guère à gêner le transit, que ses racines sont trop éloignées pour empiéter, que ce recoin a peu de myrtilles à offrir. Et, surtout, il m’a conquis, il a réussi, hiver après hiver, à créer le lien, à devenir « lui » et non pas « un des… ».
C’est ce matin que son identité s’est pleinement révélée à moi lorsque j’ai découvert qu’il allait me manquer, que j’allais attendre l’autre hiver pour le retrouver. Du coup je caresse un projet nouveau : choisir sa sève, dès qu’il sera assez gros, pour mes cures de printemps. Ainsi nous pourrons mieux cultiver notre compagnonnage, nos partages, nos réjouissances.
Durant mes onires de cette hibernation je m’amusais à lancer un défi aux botanistes : ces « bouleaux révérence » sont trop singuliers, ne formeraient-ils pas une espèce en soi au sein des bétulacées ? ne le mériteraient-ils pas puisque leurs courbettes ne peuvent indifférer ? A présent je m’en fous, j’ai « mon » bouleau révérence, mon révérant.
Ce « mon » se fait miel dans ma bouche, il n’est pas celui d’un propriétaire anxieux de possession (d’ailleurs lui vit sur les Communaux), il est celui d’un ami, d’un frère, celui de l’affection. Celui qui surgit lorsque le paysage environnant devient relation et émotion.
Et puis, là, il y a un plus : c’est quand même vers moi qu’il se prosterne en hiver !

Las Fayas, le lundi 2 mars 2015

mardi 10 février 2015

Démesures d'un "vrai hiver"

Quand a-t-elle vraiment commencé cette vague de neige et de froid ? Impossible de faire le décompte des jours. Quand on aime, on ne calcule pas. Je sais que c’était lors de la dernière décade de janvier mais je n’ai pas mesuré, je me suis simplement adonné aux sensations paisibles du bien-être hibernant.
Combien de neige est-il tombé ? Là aussi je n’ai que du ressenti mais point de mesures. D’aucuns me commentent les commentaires qui circulent : beaucoup plus d’un mètre ; du pas vu depuis dix ans… Mais j’ai rapidement abandonné mon ruban métrique et j’ai cessé de centimétrer : presque tous les jours je voyais voltiger la poudreuse mais comment savoir ce qui tombe du ciel et ce que le vent décolle des arbres ou du sur-sol ? Au petit matin je pouvais avoir à enjamber très haut devant ma porte sans pouvoir déterminer ce qui n’était que congère et ce qui relevait d’un nouvel apport. J’ai préféré me repérer aux perceptions vivantes, par exemple les mouvances de mes images du pré en dessous puisque la base de mes tracés s’élevait et rehaussait ma vue. Parler de neige seule ne veut rien dire, il faut l’associer au vent ; et il était bien présent !
Et puis, cette année, j’ai délaissé le perçage de tunnels de fenêtres pour que la lumière atteigne mes pièces, sauf pour la salle de vie évidemment, car finalement la neige est un isolant additionnel, mais j’ai perdu un élément de comparaison. En tout cas la chambre matrimoniale du bas n’a jamais été dans le noir. Donc : rien d’exceptionnel.
Jusqu’où la température est-elle descendue ? Là non plus je ne peux guère préciser. Mon grand thermomètre extérieur ne marque pas les minimas et je ne me suis guère levé avant la clarté. Les soirées bouquinantes se sont prolongées peu à peu et au réveil l’obscurité me faisait replonger dans le sommeil ou dans le rêve. Je me suis contenté de vérifier que les moins dix duraient et que la nature aurait bien le cycle de grand gel qu’elle semble apprécier. Mon intérieur était chaud, parfois trop pour moi, et pour les extérieurs c’est surtout le vent qui peut métamorphoser une froidure revigorante en gelure paralysante.
Alors voilà, nous l’avons eu la vague de neige et de froid qui signe « un vrai hiver » mais je ne peux pas le démontrer avec les chiffres du rationnel et du scientifique. Je préfère le scientifoque de la démesure et là je peux vous le dire : qu’est-ce que je me suis régalé !
Le plaisir était double. Pour moi, j’avais l’isolement et les douceurs d’un ermitage libéré des angoisses de la survie. Et le paysage se parait des couches et couleurs qui à présent peuvent ravir les visiteurs en quête de ski, de raquettes et de veillées au coin du feu.
On aurait presque pu croire que cette fois c’était la nature qui s’était adonnée à la rigueur des calculs : les vacances d’hiver ont commencé samedi et vent et froid se sont justement calmés pour agréer les arrivants ; dimanche le soleil a fait son apparition et un vent forcené a décoiffé les arbres de leurs couettes blanches avant qu’elles ne tombent sur les promeneurs ; ce lundi ensoleillé est d’une splendeur émouvante, attirante, ravigotante.
C’est sans doute pour cela que ce matin je me suis enfermé le plus possible à l’intérieur : pour profiter de mes batteries solaires qui rechargent l’ordi ; pour pondre les messages d’internet à nouveau accessible par des chemins fréquentables ; pour me prémunir contre l’excès d’euphorie du beau, de l’émerveillant ; pour retarder le moment de retrouver un monde déshiberné ou du moins m’y préparer en infusant mes émois dans ce blog.
Souvenir des dernières couleurs d'automne, en octobre: le merisier
Comme quoi c'est bon pour hiberner...

Las Fayas de Valcivières le lundi 9 février 2015

mercredi 28 janvier 2015

Hymne à l’hibernation

Il est bien loin le temps des hantises lorsque, impressionné par les voix qui cherchaient à me prévenir contre moi-même– « Tu ne vas quand même pas passer l’hiver là-haut ! » -, j’appréhendais la longue parenthèse, ses neiges, ses températures, ses difficultés d’approvisionnement. L’expérience et les réserves aidant, c’est avec délectation que j’ai entamé cette cinquième saison en hivernage de montagne.
De fait, je l’attendais, j’en avais envie. Pour la pause qu’elle apporte dans l’année, l’occasion de retrouver plus de solitude et moins de sollicitations en travaux et visites. Egalement pour assouvir ma soif renaissante de partages en écrits.
Dès la première neige, début novembre, je créais un fichier destiné aux nombreuses pages dans lesquelles j’espère me délivrer des émois et témoignages d’ermitant. La blancheur n’a pas duré et je suis reparti en chemins à aménager ou à parcourir. Dès le rebond hivernal de fin décembre, je créais un nouveau fichier avec le même propos mais en espagnol cette fois car j’avais supposé que mon manque de persévérance était peut-être dû à la langue, aux complicités différentes que cultive chacune.
J’avais d’ailleurs essayé de m’inventer un rythme : les quatre heures d’hibernation à partir de l’aube ne sont guère propices aux extérieurs car l’éventuel soleil tarde à dépasser la montagne à l’est et à réchauffer l’air et pourraient accueillir les mots d’intérieur. Mais…
Il semblerait qu’une cause première c’est que… l’hibernation a du mal à démarrer. Comment rester enfermé devant un écran alors que de merveilleuses journées ensoleillées affole tous les sens ? Ajoutez-y quelques déboires occupants et préoccupants dans mes récentes tentatives de faire venir mes potions magiques depuis l’Amazonie et vous aurez les raisons des feuilles même pas blanches, inexistantes.
Cependant je persiste. Ce matin il neigeotte et j’en profite pour me remettre en quête de mes voix dévoyées, avec un passage au blog à manière d’apéritif car j’ai d’abord besoin d’écouler mes sensations d’hivernant, ce dépouillement de sons, de tâches et de pulsions, ce chant de lumières éclairantes ou aveuglantes, ce repos du cœur et du corps, cette lenteur des gestes et des émotions, cette tendresse des heures, ces relectures dépassionnées pour savourer un bien-senti, un bien-dit, un bien-pensé.
Bien sûr c’est encore meilleur après une année remplie en réjouissances et réalisations douces et diverses et avant une autre qui n’annonce aucune urgence, aucune trépidance, aucune souciance, aucune importance. C’est ainsi que l’on peut s’adonner à la pause, à la rêverie, à la célébration de l’ermitage en hiver en montagne en retraité frugal et apaisé.
Alors l’hibernation cesse d’être cette saison « difficile à passer » pour devenir la cerise sur le gâteau, l’auberge des recueillements et des renaissances, des deuils aussi et, peut-être, des retours sur page : une tranche de contemplation de paysages où s´égarer, une plage de feu de bois où se dorer, un bréviaire d’heures où se promener, une musique de mots où s’étonner, un festin de souvenances où se gaver, un duvet de langueurs où se plonger, un grenier de vieilleries où se rhabiller…
Ouf, les limites de ce billet sont atteintes : je peux vous libérer.

Las Fayas, le vendredi 16 janvier 2015
Finalement, c'est plus facile d'écrire que de monter au cyberburon pour poster...