C’est
fini. Hier encore je le montrais à mes hôtes nantais, prosterné vers ma
porte-fenêtre du nord. Avec les pluies d’hier et de la nuit, ce matin il s’est
redressé et ne me gratifie plus que d’un vague salut. Il approche le temps où
la sève s’éveillera, où les feuilles bourgeonneront puis étaleront leurs
plumets, où sur ses ramures prolifèreront insectes et chenilles, attirant les
oiseaux, où l’activité bouleversera l’intimité. Lui, il commence à s’y
préparer.
Déjà une
certaine nostalgie m’imprègne doucement. Je sens que bientôt, lorsqu’au lever
j’ouvrirai mes volets intérieurs, j’oublierai de le chercher des yeux pour l’honorer.
Il se confondra dans la masse boisée et sans la révérence il perdra son
évidence. D’autres compagnies déshibernées solliciteront mes sens et mes
attentions.
Cependant
je sais que le lien que nous avons tissé cet hiver-ci est plus fort et durable qu’autrefois,
très différent même car j’ai accueilli sa requête qu’avant je n’entendais pas
vraiment et j’ai ressenti ce qu’il m’offrait si je le laissais vivre, une amitié
à la fois paisible et festive.
Les
bouleaux révérence foisonnent dans mon entourage, surtout cette année où une
neige lourde a ployé bien des têtes jusqu’au sol puis, en gelant, les a
bloquées dans son piège. A tel point que je circulais le sécateur à la main
afin de pouvoir rouvrir un passage dans les barricades qu’elles dressaient sur
toute la largeur des voies principales.
Par sa
proximité et son orientation respectueuse, celui-ci m’amusait spécialement.
Mais il était condamné. Poussé dans le bas du grand champ communal qu’arbustes
et arbres ont reconquis progressivement depuis que les chèvres n’y broutent
plus et que, bon an mal an, j’essaie d’éclaircir afin que la lumière féconde et
mûrisse les myrtilles, il était sur la liste de mes élagages et abattages à
venir : trop incliné pour les quêtes d’ensoleillement et trop proche du
chemin pour que ses racines ne risquent de disjoindre l’empierrement.
A présent
il est sauvé, de moi du moins. Je puis témoigner que ses plongeons ne cherchent
guère à gêner le transit, que ses racines sont trop éloignées pour empiéter,
que ce recoin a peu de myrtilles à offrir. Et, surtout, il m’a conquis, il a
réussi, hiver après hiver, à créer le lien, à devenir « lui » et non
pas « un des… ».
C’est ce
matin que son identité s’est pleinement révélée à moi lorsque j’ai découvert
qu’il allait me manquer, que j’allais attendre l’autre hiver pour le retrouver.
Du coup je caresse un projet nouveau : choisir sa sève, dès qu’il sera
assez gros, pour mes cures de printemps. Ainsi nous pourrons mieux cultiver
notre compagnonnage, nos partages, nos réjouissances.
Durant mes
onires de cette hibernation je m’amusais à lancer un défi aux botanistes :
ces « bouleaux révérence » sont trop singuliers, ne formeraient-ils
pas une espèce en soi au sein des bétulacées ? ne le mériteraient-ils pas
puisque leurs courbettes ne peuvent indifférer ? A présent je m’en fous,
j’ai « mon » bouleau révérence, mon révérant.
Ce
« mon » se fait miel dans ma bouche, il n’est pas celui d’un
propriétaire anxieux de possession (d’ailleurs lui vit sur les Communaux), il
est celui d’un ami, d’un frère, celui de l’affection. Celui qui surgit lorsque
le paysage environnant devient relation et émotion.
Et puis,
là, il y a un plus : c’est quand même vers moi qu’il se prosterne en
hiver !
Las Fayas, le lundi 2 mars 2015
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire