Entorse ?
Foulure ? Le dernier billet, écrit à chaud après mon incident de
« cheville », est un bon reflet de ce que peut produire l’ignorance.
Par exemple, il m’a fallu attendre beaucoup plus d’un mois avant de pouvoir le
poster sur le blog ce billet hâtif : la supposée foulure était en fait bien
plus que cela et m’a tenu immobilisé ici depuis lors ; j’avais la patte
rac.
C’est mon
voisin Jean-Baptiste qui m’a fait déchanter. A peine quelques petites
manipulations et il m’annonçait déjà une probable fracture du péroné. C’est
normal, il est médecin. Mais moi je suis moi et j’ai quand même préféré offrir
du temps au repos pour voir s’il suffisait. Gros œdème aidant, j’ai finalement
rendu les armes, accepté une radio, puis un plâtre, puis l’hibernation
thérapeutique… Un comble en ce mois de juillet toujours très beau et parfois caniculaire !
Pourtant
j’ai assez bien tenu le choc. D’abord l’hibernation je connais ; j’avais
même apprenti l’hibernation estivale l’an dernier quand juillet s’était noyé
sous 300 millimètres de pluie ; il suffit de se mettre en transe du
hors-temps, comme lors de mes interminables voyages intercontinentaux dans des
avions et aéroports non fumeurs, de se fournir en provisions, lectures et
méditations diverses, de s’abandonner à d’autres disciplines et de ne point
trop compter les heures et les jours.
Et puis le
printemps avait été long et favorable ; en quatre mois j’avais fait bien
plus que d’autres années ; la frustration de l’inactivité en était
amoindrie ; même l’extrême sécheresse jouait en ma faveur, freinant
l’invasion végétale de mes espaces favoris ; on attend mieux quand les
travaux eux-mêmes savent attendre.
Enfin ces
semaines ont été l’occasion de savourer avec une rare intensité l’un des deux
principaux charmes, avec la nature et ses paysages, de mon versant de
montagne : l’ambiance chaleureuse et fraternelle d’un voisinage
discrètement solidaire, disponible sans faire pression, sans supplanter ni
étaler. Le rêve pour quelqu’un comme moi qui aspire à l’autonomie tout en appréciant
l’interdépendance et ses partages.
Il y a là
toute une culture locale qui s’est nourrie aux usages d’entraide et réciprocité
sans lesquels les anciens paysans n’auraient pu survivre en ces lieux, aux
idéaux communautaires ou associatifs de divers groupes de nouveaux résidents
installés progressivement ici au cours des cinquante dernières années, au tissu
d’échanges et réjouissances qui relie les générations successives d’occupants
des burons en Chaumettes et Fayes. Bien sûr il y a des exceptions. Ainsi, à
quelques centaines de mètres à peine, des arrivants avides de pouvoir et
d’argent ont préféré des relations à base de domination, de chantage procédordurier
et de violence : ils n’ont plus guère à qui parler et pourrissent dans leur
coin en cultivant leurs primes agricoles et leur haine esseulante.
Bon,
n’idéalisons pas non plus cette hibernation thérapeutique. La semaine dernière,
c’était devenu de plus en plus dur, de plus en plus raslebolique. Mais depuis
vendredi je peux appuyer le pied et rejoindre la vie active. Trois jours à
fendre du bois en équipe et une journée de débroussaillage de mes alentours
immédiats viennent donc de me ressourcer, de me régénérer, de me rendre le
sommeil en fatigue physique et l’apéro en pause délassante (je dormais bien et
je buvais bien, mais ce n’était pas la même chose !).
Il reste
de cette expérience la conviction que, si j’ai pu vivre ici en béquilles, je
devrais pouvoir le faire aussi, le jour venu, en fauteuil roulant. Allez, j’ai
encore quelques aménagements à réaliser pour cela ; je peux le faire, même
avec mon estropied : j’y vais de ce pas déhanchant.
Les Fayes de Valcivières, le mardi 18 août 2015
N'oublie pas que s'il te prenait l'envie d'une convalescence en terre étrangère, tu serais le bienvenu dans le Lot. "En su casa" !
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